« Persephassa, nom archaïque de Perséphone ou Kore, déesse de la renaissance de la nature au printemps, femme de Pluton. »
Iannis Xenakis
Persephassa, qui doit être interprétée de préférenceen plein air (la création eut lieu à Persépolis, chacun des percussionnistes étant installé sur la souche d’une colonne du palais de Darius Ier), figure une étape supplémentaire dans les recherches de Xenakis sur la spatialisation : les six percussionnistes entourent le public. La distance entre chacun d’entre eux peut aller jusqu’à cinquante mètres, ce qui donne une circonférence maximale de trois cents mètres au sein de laquelle la musique sera spatialisée.
Enchaînée sans arrêt d’un bout à l’autre, Persephassa peut, pour l’analyse, se diviser en trois sections principales. La première est basée sur la théorie des cribles. II y a là 2 986 notes ou impacts, simultanés ou successifs, en de multiples dynamiques traversées par des accentuations (les mesures 169 et 170 possèdent à elles deux 148 notes). La partition étant conçue pour la spatialisation, chacun des percussionnistes prend en charge, sur de courts instants, la totalité des six parties, ce qui procure l’évidence de la localisation exacte du son.
La deuxième section s’articule autour de deux pôles : le silence (que Xenakis veut absolu) et l’enchaînement de tempi superposés. Les six percussionnistes commencent en unisson métrique. Puis, dès la troisième mesure, trois des exécutants poursuivent sur les mêmes rythmes, alors Que les trois autres commencent à jouer à un tempo légèrement supérieur. II se crée ainsi un décalage précisément calculé qui donne à l’oreille une sensation d’écho. Selon ce processus, chacun des percussionnistes autonomisera son tempo pour obtenir la superposition de six tempi différents. Les silences créent à la fois un contraste avec la première partie et mettent en valeur les sonorités pures et simples des percussions. Ici les instruments sont des peaux, auxquelles s’ajoutent des bois, puis des métaux, comme les simantras aux sons suraigus proches de l’ultrason. Les simantras sont de nouveaux instruments, en bois ou en métal, imaginés parle compositeur. Déjà utilisés dans L’Orestie, ils trouvent leur source dans « les simandres de scouvents grecs, véritables nids d’une rythmique ancestrale non encore détruite par la Radio, la Télévision ou les invasions », écrira Xénakis. Viendront ensuite les cymbales et les tam-tams, accompagnés sur la fin de sirènes à bouche.
La dernière section de Persephassa est une véritable construction dans l’espace. La répétition sans fin d’une unique cellule rythmico-dynamique, et son passage d’un instrumentiste à l’autre, crée le sentiment d’une rotation spatiale. Chacun des six percussionnistes prend en charge l’un des six temps de la mesure. Une mesure entière représente un tour complet du manège musical. Six cercles concentriques sont ainsi enprésence et se superposent par le jeu constamment enchaîné des six musiciens. Les trajectoires se croisent ou évoluent selon une « chorégraphie » sonore mise en scène par le compositeur. Par une accélération progressive allant de 30 à la noire à plus de 208 (au-delà de la graduation maximale d’un métronome), la musique va transporter l’auditoire dans un gigantesque tourbillon. Si ce « tourniquet » évoque la danse des derviches tourneurs, Xenakis ne vise pas à la transe : de brusques coupures, brèves mais réparties d’une manière imprévisible, sortent sur la fin l’auditeur de sa torpeur.
D’après Jean Batigne et Makis Solomos, programme du concert du lundi 16 juin 2003 au Jardin des Tuileries, Festival Agora.