Il a été question pour moi d’imaginer un « événement » artistique intégrant le texte d’Impromptu d’Ohio qui puisse à la fois être donné dans une salle d’exposition et à la fois joué en concert. L’installation impliquait la rencontre de Pierre Nouvel, la version concert celle de Joël Jouanneau.
Dans les deux situations aussi différentes soient-elles, j’ai tenté d’imaginer un événement qui tisse un lien indéfectible entre le texte de Samuel Beckett, l’écriture d’une partition pour trio à cordes et une création visuelle, qu’elle soit vidéaste ou scénique.
C’est dans les marges du texte, ses entrebâillements, que la musique trouvera son espace. Les silences du textes – notés un temps par l’écrivain – s’étireront jusqu’à s’ouvrir sur un espace proprement musical. La musique peu à peu adviendra conjointement au texte, si bien que tous deux coexisteront dans une alternance rythmée, chacun pourtant dans son devenir propre.
Je veux croire, comme il a cru pouvoir convoquer la musique de Beethoven ou de Schubert, que l’écriture de Beckett (et plus singulièrement la parole de ses personnages) dessine un rythme que l’on puisse conjuguer au rythme de la musique même. J’ose alors imaginer un lieu d’entredeux, ni tout à fait parole, ni tout à fait musique, comme un estran que recouvrerait alternativement l’un ou l’autre. J’ose imaginer que les deux mondes (parole et musique) puissent décrire des devenirs qui se répondent
La structure de la musique prendra intiment appui sur celle du texte. Il n’est pas question d’analogie, cela n’aboutirait pas, mais de puiser dans l’agencement des mots, leurs répétitions, dans la structure paragraphique du texte, la possibilité d’agencer la musique même, possibilité qui puisse être pour moi – j’imagine – une autre façon d’entendre ce que j’écris. Noir gris serait donc avant tout une expérience de la forme et du temps.
« Au terme de son épuration fictive, on pourrait appeler le lieu de l’être (ou le dispositif qui atteste la question de l’être dans la forme du lieu) un « noir gris ». Cela pourrait suffire… un noir tel que nulle lumière n’est supportable en contraste, le noir incontrasté. Ce noir est suffisamment gris pour qu’aucune lumière ne puisse lui être opposé comme son Autre. »
(« L’écriture du générique», Alain Badiou, in Conditions, Éditions du Seuil, Paris, 1992, p 334-335).
Jérôme Combier.