Mouvement (– vor der Erstarrung) évoque les derniers mouvements réflexes qui agitent le corps avant de se figer dans la mort : les ultimes convulsions et la pseudoactivité du trépas. Des bribes de rythmes vides – triolets frénétiques, sortis d’une mécanique disloquée – témoignent déjà de cette paralysie interne qui précède la paralysie totale. (Comme la coccinelle renversée sur son dos – qui continue à se débattre vainement et, se rendant compte au même instant de son anatomie et de l’inutilité de son combat – cherche une autre échappatoire, on contemple là l’image du renoncement aux utopies, face à une menace imminente.)
Dans les différentes illustrations sonores qui jalonnent l’œuvre, de l’« archet-machine » au « point d’orgue flottant », en passant par les « champs tremblotants », les « palpitantes allers et venues frénétiques », et jusqu’au « cher Augustin » et autres situations-variations qui en résultent, l’accent est mis sur le procédé mécanique associé au geste et l’on utilise ainsi délibérément et exclusivement ce que ces moyens de conjuration du vide ont de vain, jusqu’à ce que l’expressivité elle-même perde tout son sens.
La musique incarne ainsi une vie faite de sursauts et de décomposition. Cette décomposition n’est pas traitée ou, pire, célébrée, en tant que processus naturel, mais plutôt suggérée par la fracture du son (c’est-à-dire par la modification « mélodique » du facteur de distorsion, dans le cas des événements percussifs, ou par le recours à la sourdine, etc.). Résultat, il m’a été possible, en me retenant, de rester dans le domaine d’un langage similaire, et de composer avec des sons « vierges ». Malgré la tentation, j’ai pu ne pas m’évader vers des sons plus exotiques : réutiliser des sons non altérés était le seul moyen pour moi de prouver l’importance que revêtent, non seulement la fracture des sons, mais aussi la tentative de déconstruire nos pratiques de perception pour les redécouvrir en nous-mêmes.
Helmut Lachenmann, 1984.