Les introductions d’un compositeur à ce qu’il vient de créer, et pas seulement celles qui figurent dans le programme remis au public, devraient se reconnaître elles-mêmes pour ce qu’elles sont: une manière d’égarer, et ce d’autant que le compositeur ignore tout du destinataire.
Un compositeur n’a rien à dire à son entourage, et encore moins à la société. Il a quelque chose à créer, porté par une charge créative qui tend vers ses visions. Il est un médium. Et ce qu’il a créé en « dira » bien plus qu’il ne l’imagine à l’auditeur quel qu’il soit, sans oublier le compositeur lui-même. Alors, puisqu’il faut se plier à l’exercice : mon second trio à cordes est – comme chacune de mes compositions – le résultat d’une tentative d’ouvrir davantage la pratique de composition d’une « musique concrète instrumentale » que je poursuis depuis 1969, sans en oublier l’approche initiale. Celle-ci a toujours placé de manière différente l’énergie physique du son au centre de la perception musicale, mettant ainsi en jeu, en la désemphatisant en somme, la notion même de musique. Dans mes derniers travaux, il ne s’agissait pas de s’aventurer de la sorte dans l’inconnu, mais dans le connu. L’écoute devient observation, et aussi bien observation de soi, lors de la rencontre, souvent aussi lors de la collision déconcertante entre notre propre structure et celle de l’œuvre. Dans ce nouveau trio à cordes, elle prend la forme d’une rencontre avec quelque chose de parfaitement familier mais qui, vu sous un jour nouveau, est devenu à la fois étranger et prend congé avec une certaine « sérénité » souriante. (Encore une fois, ainsi, comme dans mon concerto pour cors : « My Melodies », et en même temps « Mes Adieux ».)
Helmut Lachenmann, note de programme du concert ManiFeste du 18 juin 2022 dans la Grande Salle du Centre Pompidou, traduction de Philippe Abry.