« Quand les hommes lui demandèrent ce qu'il voulait être, l'enfant ne cita aucune de leurs propres occupations, comme ils l'avaient tous espéré, mais répondit : « Je vais être un héros, et danser avec les anges et les taureaux, et me battre avec les taureaux et les soldats, et mourir en héros dans l'espace intersidéral, et être enterré en héros. » En le voyant se tenir là, les hommes se sentirent petits, comprenant qu'ils n'étaient pas des héros, et que leurs vies étaient moins substantielles que les rêves qui entouraient l'enfant tels des jouets. » Anonyme.
Les aventures rêvées de l'enfant-héros constituent les cinq sections « métaphoriques » de la pièce, entrecoupées de trois parties plus légères et dynamiques : peinture contre film, peut-être.
Tout d'abord, les anges (Angels), un long solo de cor accompagné de gongs et de petites trompettes. Puis, au changement de tempo et à la première note basse (un fa), un Aurochs (bison européen disparu) charge dans l'arène. Il est fouetté et piqué brutalement par l'élégant enfant-matador jusqu'à ce que ses beuglements de défaite (cor à nouveau) se métamorphosent en la première apparition du « thème du héros ». Cet air sévère qui gronde apparaît à trois reprises, avant chacune des trois sections non numérotées (BALETT etc.). Dans chacune d'entre elles, le même matériau est réorganisé (de là les titres anagrammatiques) : accords de trois voix descendantes, chaque voix étant limitée à un intervalle unique. Récurrent dans BATTLE et dominant dans TABLET, ce matériau est développé dans BALETT à partir d'un fragment du combat de taureau duquel il jaillit : mi-ré-do descendants (cor, inversion du début du thème du héros), combinés à l'angélique solo de cor (trombone, cette fois).
Le BALETT cadence, brutale et menaçant, sur un si en octave menaçante, au moment où le petit héros fait un cauchemar : une armée grotesque conduite par une paire de virtuoses (l'un est un tambour maniaque, l'autre a un clairon vociférant), avance sur lui jusqu'au point où — cela étant interdit de rêver de sa propre mort — il change de rêve. Il est dans un film, dans l'espace le plus profond, démontant un grand ordinateur, dont l'immense intelligence s'étiole et se transforme en une valse (contrebasson et contrebasse) languissante de music-hall de l'époque Victorienne/Edwardienne. C'est l'exécution la plus délicate, et le petit astronaute siffle son air doux comme le chant d'une flûte minuscule.
Puis suit une bataille (BATTLE) sans fin et suffocante, au cours de laquelle les monstrueux miliciens réapparaissent et (apogée en mi mineur) finissent leur sinistre travail. Notre héros rêve pour lui de grandes funérailles militaires, avec des tambours voilés et une foule, les yeux brouillés de larmes, fredonnant son air : une plaque commémorative (TABLET) est érigée, et il y a un salut de trois coups, ou trois acclamations, ou trois fusées, ou trois bouffées de poussière lorsque le livre d'histoires est fermé violemment, et il se dégage pour se joindre à ses premiers adversaires.
Thomas Adès, programme du concert du 26 janvier 1996, Espace de projection de l'Ircam.