Le compositeur face à la machine
Jupiter est la première pièce d'un cycle à venir, dont le but est d'explorer l'interaction entre divers instruments et un système de traitement et de synthèse numérique en temps réel. Comment cela se produit-il ? Tout d'abord par le fait que la machine ressemble de plus en plus à l'homme (au musicien dans ce cas). C'est-à-dire, qu'elle écoute, attend un événement, et réagit lorsque l'événement attendu se produit. Il s'agit bien sûr de simulations, mais selon moi, la simulation, comme l'imagination est un des propres de l'art. Elle réalise une partie de ce que ferait un chef d'orchestre jouant avec un soliste. En un mot, la machine est plus intelligente, puisqu'elle reconnaît, et suit, le discours qu'on lui propose (à condition de le lui avoir appris au préalable bien sûr) et s'y adapte en fonction de critères établis entre le compositeur et elle. J'ai tenu à ce que cette pièce se déroule complètement par rapport au jeu instrumental sans interventions extérieures. Ainsi, tout ce qui proviendra de la partie synthétique ou traitée, sera déclenché, ou issu, du jeu du flûtiste. Les opérations extérieures auront pour fonction de pallier une erreur possible, ou de contrôler la diffusion du son sur les quatre haut-parleurs (pointer vers schéma de diffusion).
L'œuvre et son environnement
Jupiter explore cet environnement en essayant d'en tirer le maximum de conséquences. Au fur et à mesure de son avancée dans le temps, les relations entre l'instrument et la machine se font plus serrées. En voici les détails.
A partir du son de la flûte : le son de la flûte est reconnu et envoyé instantanément dans différents modules permettant soit de le maintenir dans le temps (reverbération prolongée aussi longtemps qu'on le désire) (pointer vers traitements électroniques), soit de le transporter dans l'espace (harmoniques modifiant la hauteur sans altérer la durée) pour en former des configurations harmonico-polyphoniques, soit, enfin, de transformer son timbre (frequency-shifters) (pointer vers frequency-shifters). Avec ces trois possibilités, combinables à volonté, on peut agir sur la durée, la hauteur et le timbre. L'idée étant que, partant d'un triple son de flûte, je l'extrapole jusqu'à devenir méconnaissable, tissant ainsi des liens entre sons connus et inconnus dans une dialectique compositionnelle.
A partir de la partition instrumentale : j'ai conçu des programmes qui permettent de détecter des séquences rythmiques jouées par l'instrumentiste, qui sont mémorisées puis placées aux extrémités d'une séquence dont le rôle sera de transformer la première séquence rythmique en petites quantités jusqu'à ce qu'elle devienne identique à la seconde (interpolations). Cette partition de rythmes servira ensuite de support à une partion de synthèse expérimentant le même principe au niveau des échelles (compression et dilatation d'échelles par interpolations successives). Trois séquences d'interpolations serviront de centres autour desquels gravitera la forme de Jupiter.
L'accompagnement synthétique : sur le suivi du jeu instrumental, se déroulera une partition de synthèse auditive tissant des accords, des contrepoints, des arpèges autour de la mélodie de la flûte. Ici, l'instrument contrôlera le début et l'extinction des événements synthétiques, mais pas leur déroulement interne. Ces sections seront des commentaires des exposés dans lesquels la flûte nourrit les programmes d'interpolations (pointer vers les programmes d'interpolation) décrits précédemment.
La variation formantique : si dans l'accompagnement synthétique, la flûte n'interagissait pas au niveau de l'évolution de la partie synthétique, par ce procédé elle peut contrôler le début et la fin des événements, comme leur évolutions internes. Une enveloppe spectrale (permettant de modifier l'amplitude des partiels d'un spectre) attachée au jeu de la flûte éclairera les tons synthétiques du grave à l'aigu suivant la position des notes de l'instrument dans l'ambitus. Ainsi se trouve réalisé un contrôle, temporel, spectral et de modulation complet d'une partition synthétique par un interprète. Je remercie Miller Puckette, Marc Battier, Olivier Koechlin, Cort Lippe et Thierry Lancino pour l'aide et le soutien qu'ils m'ont apportés. Jupiter est dédié à la mémoire de Lawrence M. Beauregard, trop tôt disparu, qui était à l'origine de ce projet.
Philippe Manoury, note de programme de la création, 1987.