« L’homme doit devenir comme Maître et possesseur de la Nature », René Descartes.
Cette maxime cartésienne se réalise de nos jours de façon complète et univoque. Nos contemporains assistent - et participent - à une prédation absolue de la Nature par les moyens de la technique, à des fins d’exploitation des ressources naturelles et d’aménagement du territoire. De fait, la « Nature » est devenue un simple matériau que l’on manipule, détourne et bouleverse. C’est ce que nous avons voulu mettre ici en scène : les produits de notre étourdissante société du spectacle ainsi que la fascination, puissante et infantile, qu’elle exerce au travers d’une panoplie de situations lumineuses artificielles.
La création musicale a été élaborée à partir de multiples sons extraits de la nature, comme le bruit des vagues, du vent, ou le chant d’un oiseau - qui renvoient aux paysages entièrement naturels que l’image nous fait contempler : des endroits vierges et difficilement accessibles, jungle, désert, chaîne de montagnes. Augmenté de multiples traitements électroniques, et déployés sur un horizon fluctuant, ce panorama sonore réaliste s’artificialise progressivement pour transporter l’auditeur vers un lieu constitué d’objets sonores imaginaires. Dans ce jardin primitif naît un être chimérique, mi-homme mi-oiseau, qui pratique une langue compréhensible des hommes et du vivant. Guidé par le croassement de ce passeur, le public voyage au-dessus d’un Monde à la géographie absconse. Bien après la fin de la civilisation subsiste sur cette terre brûlée de paysages meurtris, transformés à des fins incompréhensibles, l’habillage graphique spectaculaire et théâtral dont nous avons maquillé le réel. Un Dieu espiègle a fait main basse sur le jeu d’orgue qui commande l’éclairage du Monde, transformé en une perpétuelle représentation faite de feux d’artifice, de light shows scintillants, de géométries réfléchissantes.
Cet émerveillement des sens, qui interpellait notre âme d’enfant au premier abord, devient progressivement une orgie visuelle chaotique ; un bruit insoumis qui fascine en même temps qu’il effraie.
La référence du titre, « Jardin d’Éden », est double : elle va bien sûr à l’Éden biblique et, par extension, à ce qu’il symbolise de nature accueillante, en parfaite harmonie avec un humain bienheureux. Mais « Jardin d’Éden » (ou « Jeu de la vie ») désigne également un automate cellulaire qui décrit un processus mathématique répétitif, proche du principe du canon, lequel sert de source d’inspiration à la composition musicale.
Ce sont également des processus mathématiques qui ont inspiré la création visuelle : les formules des fractales, reconnaissables dans les arrangements naturels de galaxies comme dans des structures végétales microscopiques, ont été massivement utilisées dans la génération d’éléments en trois dimensions et dans leur déformation dans le temps : la structure d’une chaîne de montagnes, le mouvement d’une vague, la formation de minéraux sous-tendent tous une organisation structurelle proche du résultat d’une formule fractale.
Hyun-Hwa Cho, Raphaël Thibault et Jérémie Szpirglas
Note de programme du concert du 12 juin 2017 au Centre Pompidou dans le cadre du fetsival ManiFeste.