Janus, dieu romain, possède deux têtes : l’une regarde le futur et l’autre le passé. Cette idée, avant même d’inspirer les grandes lignes de la musique, est parfaitement en phase avec l’impression vécue au cours de sa conception : un regard tourné vers le passé, vers un espace d’écriture instrumentale déjà bien investi, et un regard tourné vers le futur, où de nouveaux outils technologiques laissent entrevoir un important territoire inexploré. Une identité double, piégée dans un même corps, implique une gémellité immanente. Cependant, pour briser l’image en miroir trop parfaite, j’ai recherché constamment à exacerber l’hétérogène, la dualité : dans l’écriture, tour à tour intuitive et organique, alternant transformations progressives et ruptures abruptes ; dans les sonorités rugueuses, âpres et cuivrées en contrepoint à d’autres toutes en fluidité, rondeur et douceur ; et dans la dramaturgie où des digressions ironiques et légères s’opposent à des submersions suffocantes de vagues d’arpèges successives. Pour prendre le contre-pied de ce duel et conserver l’aspect gémellaire, l’électronique est confectionnée à partir de sons de tuba, en prenant soin de garder cette couleur mate, onirique et lointaine caractéristique de son timbre. Comme deux miroirs placés face à face et démultipliant une image à l’infini, l’électronique prolonge le son original, en cherchant toutefois à évoquer l’infime entre l’identique, le similaire et le proche.
Note de programme du concert Cursus du 16 juin 2016 au CentQuatre.