L'une des raisons qui m'ont incité à écrire pour percussion et électronique est ma passion pour les instruments dits « primitifs ». Je m'intéresse notamment aux percussions à peaux, au jeu très physique qu'ils impliquent, à la richesse de leurs sonorités, à leurs connotations et leur association avec des phénomènes naturels et supranaturels ; il me semble que le concept de « tambours parlants » d'Afrique est un bon exemple de cette métaphore globale, qui me permet d'ajouter la source de la voix aux sources de base. Au lieu de mettre en opposition les sources voix/percussions, je m'attache à mélanger les deux, sur un plan imaginaire mais aussi par le biais des percussions sélectionnées : médiums/graves, bois et peaux. Pour illustrer cette combinaison, je pense à un tam-tam qui chuchote ou à une séquence de syllabes qui fait résonner un tube de taille variable.
C'est une devise que j'ai écrite en danois qui m'a servi de texte de départ, en raison de la ressemblance, dans cette langue, entre modes actif et passif : « drømmer eller drømmes jeg » (est-ce que je rêve ou quelqu'un me rêve-t-il). Je fais allusion à la pensée de Gérard Genette : « Ce que nous prenons pour réalité n'est peut-être qu'illusion, mais qui sait si ce que nous prenons pour illusion n'est pas aussi souvent réalité ? ». La phrase me parait éloquente en soi, mais je m'intéresse surtout à la question de causalité qu'elle soulève, appliquée tout particulièrement à la production de son ; est-ce la percussion qui parle ou bien la voix qui joue ? Est-ce que je rêve ou quelqu'un me rêve-t-il ? A vrai dire, je n'ai pas trouvé la réponse, mais du moins ai-je trouvé la question !
Cette incertitude, voire cette irrationalité, trouve son illustration dans l'organisation formelle de la pièce, basée sur l'exploration des décimales du nombre pi. Il s'agit d'une séquence de nombres énigmatiques, qui, bien que variant à l'infini, est à la fois entièrement déterminée. Je l'ai intégrée dans la construction musicale (en partie seulement, évidemment ! ) sous forme d'un « axe rythmique » présent en permanence. Autour de cet axe se déroulent des « rythmes formantiques » – les proportions de fréquences se traduisent par des durées, la plupart dérivant de l'analyse formantique d'un tabla et d'une contrebasse –, qui sont soumis à un jeu d'attirance ou de répulsion par l'axe variable de pi. En contraste avec cette double structure verticale, j'ai structuré la forme en dix segments, m'attachant à doter chacun d'une autonomie propre, afin de souligner le jeu entre répétition cyclique et variation à l'infini.
Le titre cherche à rendre compte de cette double nature ; chaque épi porte en lui une histoire, en même temps qu'il répète une histoire éternelle. La musique, vue sous cet angle particulier, revêt pour moi un aspect complètement improbable, et dans lequel compositeur prend des allures à la fois de prêtre et de magicien !
J'ai utilisé les logiciels suivants pour la réalisation de l'œuvre : PatchWork pour le calcul des rythmes et la structuration de la synthèse, Chant pour l'hybridation des voix/percussions avec MdR. La synthèse croisée voix/percussions a été effectuée avec SVP, leur analyse formantique avec MPW, la synthèse granulaire avec FOF et quad-pan sur Csound, la simulation de la partie instrumentale avec SampleCell. Enfin la notation standard de la partie instrumentale a été réalisée avec le logiciel Finale.
Hans Peter Stubbe.