La manière dont nous écoutons un·e conteur·se d’histoire diffère selon les personnes et les circonstances. On peut porter son attention d’abord sur la personne du·de la Conteur.se – sa voix, ses gestes, sa démarche, sa posture ; ou s’intéresser à son environnement, qui prend alors le pas sur la narration elle-même. Étudiant moi-même des chants épiques traditionnels, qui peuvent durer des heures, mon attention s’attache parfois à des éléments hétérogènes selon le moment. L’esprit et la spontanéité du·de la Conteur.se me fascinent, autant que le pouvoir et la beauté de sa voix. Mon degré de familiarité au langage utilisé ajoute également une dimension supplémentaire à l’impression générale. Que je maîtrise ou non la langue, chaque instant d’écoute est une expérience valable, susceptible de convoquer une imagerie singulière.
Une part non négligeable de mon travail est dédiée à la transcription et la traduction, en tant qu’outils de base pour exploiter les caractéristiques de mes sources primaires, en l’occurrence les archives audios que j’utilise dans le cadre de mes recherches artistiques. Chaque pièce consacrée à cette étude se concentre sur un aspect particulier. Cette pièce d’ensemble tente ainsi d’explorer la notion de matérialité de la voix, ainsi que celle de la documentation proprement dite : une archive audio de Fabio Dalasay chantant un épisode de l’épopée Agyu d’Agusan Manobo, un enregistrement datant de juillet 2000 (réalisé in situ par Margarita Cembrano, Philippines Epics and Ballads Archive, Box 6. 6.1). Cette pièce élargit également le rôle de la voix des instrumentistes dans le cadre de mon écriture d’ensemble. Au-delà de la théâtralité suscitée par ces voix, et de leur contribution à étoffer le son des instruments, je veux ici évoquer un objet partagé, une image partagée avec laquelle, ou un espace dans lequel, chacun pourra se retrouver ou s’identifier. Toutes ces considérations peuvent apparaître assez nébuleuses en l’état, mais peut-être trouverai-je des éclaircissements lorsque j’aurai terminé ma thèse ; ou, peut-être aussi, tout cela est-il destiné à rester nébuleux.
« diwata » est un mot commun à de nombreuses langues parlées aux Philippines. Il peut désigner une nymphe, une divinité, un esprit de la nature – il se rapproche en cela du mot sanscrit « Devatā » dont il dérive. Dans cette pièce, je fais plus particulièrement référence au fait que c’est le nom que l’on donne aux esprits qui guident les chanteurs de chants épiques.
Feliz Anne Reyes Macahis, note de programme du concert Manifeste du 19 juin 2021 au CENTQUATRE-PARIS.