« C’est l’un des plus beaux poèmes de Verlaine », répond immédiatement Michèle Reverdy lorsqu’on l’interroge sur le choix de Crimen Amoris. Ce long poème, achevé en prison en 1873 et publié dans Jadis et Naguère, nécessite cependant quelques coupes pour se couler dans une œuvre d’une douzaine de minutes. Mêlant le présent et le passé, il évoque Rimbaud, « le plus beau d’entre tous ces mauvais anges » qui met le feu à la ville. Si la compositrice ne conserve rien du cadre oriental (la scène se déroule dans Ecbatane, de nos jours en Iran), elle s’est en revanche attachée à suivre le mouvement du poème, sensible à ses hendécasyllabes dont le rythme singulier a orienté l’écriture rythmique. Afin de préserver l’intelligibilité, le chœur chante souvent en homorythmie, tandis que l’orchestre, aux vents par trois, privilégie des couleurs assez transparentes. Cet effectif, en apparence traditionnel, accorde toutefois un rôle important à plusieurs percussions : les timbales, le xylophone, le glockenspiel, le grand tambour chinois et les crotales tibétaines que Michèle Reverdy affectionne particulièrement.
La structure se modèle en partie sur la construction poétique, les répétitions de vers motivant le retour du même matériau. Plus encore, la musique souligne certaines images de ce tableau voluptueux et tragique. La figure de Satan va ainsi de pair avec l’écriture fuguée. Plusieurs moments passionnés jalonnent la partition, notamment lorsqu’on apprend que le plus beau des anges « avait seize ans sous sa couronne de fleurs », puis qu’il monte sur la tour « du haut palais avec une torche au poing ». Michèle Reverdy insiste sur « la fête aux sept péchés », dernier vers chanté dans un climat de violence qui signe « la fin de l’allégresse et du chant ».
Hélène Cao, note de programme du concert du festival Présences de Radio France du 9 février 2024 à la Philharmonie de Paris.