Le Quintette de cuivres (2 trompettes, cor, trombone ténor et trombone basse) fut écrit pour l'American Brass Quintet. Étant presque constamment composé de plusieurs couches musicales comme mon Deuxième quatuor à cordes, il sépare les instrumentistes en les individualisant, mais pas aussi complètement que ne le faisait le quatuor à cordes, car chaque instrument partage une partie de son répertoire avec une partie des autres. La première trompette, par exemple, joue peu après le début de la pièce en trio avec la seconde trompette et le trombone ténor, mettant en avant la sixte mineure dans des accords irréguliers : le caractère et l'intervalle deviennent une part intégrante du répertoire des trois autres instruments. Un peu plus tard, la première trompette joue un autre trio avec le cor et le trombone basse, une sorte de fanfare, une musique plutôt majestueuse basée sur une quinte juste ; elle est intégrée ensuite au répertoire de ces trois instruments. Cependant, le cor, qui a le plus large répertoire de tous, utilise aussi fréquemment la quarte augmentée, qu'il ne partage avec aucun des autres instruments.
Tous ces caractères contrastés et leurs intervalles musicaux respectifs forment une pièce à couches multiples construite d'après le modèle suivant : chaque troisième partie (donc la première, la quatrième, la septième, etc.) des 19 brèves sections enchaînées est un bref quodlibet à cinq voix, dans lequel les instruments s'opposent l'un à l'autre avec des éléments contrastés de leur répertoire individuel. Entre ces quodlibets, il y a un duo précédé ou suivi par un trio, fondés sur la réunion des instruments. Chaque duo et chaque trio a une instrumentation différente.
Afin de rendre clair le plan général, laissez-moi décrire la forme de quelques-unes des sections initiales : le quodlibet d'ouverture débute comme s'il était un mouvement lent, mais il est soudain interrompu par le cor. Ceci provoque une explosion des cinq autres instruments, chacun avec un fragment caractéristique. Immédiatement, commence alors le premier trio, avec les deux trompettes et le trombone ténor qui jouent des accords brefs dans un rythme irrégulier, tandis que le cor et le trombone basse continuent la musique lente du début. Ces deux derniers s'arrêtent un instant, puis entament un duo plus rude, rapide, conduit par le trombone basse. Pendant ce temps, le trio continue, s'arrête, puis commence la musique lente qui mène au second quodlibet. Ce modèle général est suivi dans presque toute la pièce, avec des variations de dynamique et de tempo, des contrastes d'expression et de caractère. A un moment, par exemple, les deux trompettes et le cor jouent une musique douce et rapide, qui se déroule gracieusement et qui est bientôt combinée avec un duo de trombones en glissandos.
Le plan général est interrompu, à peu près au milieu de l'œuvre, par un solo de cor relativement étendu et non accompagné, qui est coupé par les octaves colériques des autres instruments. La musique lente qui commençait la pièce et qui forme l'arrière-plan des trois premiers quodlibets est abandonnée après le dernier de ceux-ci, pour revenir sous une forme plus étendue vers la fin. L'œuvre entière peut ainsi être entendue comme un seul mouvement lent avec des interruptions.
De fait, une autre façon d'écouter la pièce serait de la considérer comme la rencontre de cinq instrumentistes à vent réunis pour jouer une musique lente et solennelle. Alors qu'ils commencent la pièce, entrant l'un après l'autre, le membre faible du groupe, le cor, lance des idées hors de propos, disruptives, qui bouleversent momentanément le plan. Étant donné cette atmosphère de discorde qui se lève entre les instrumentistes, chacun commence à s'affirmer, s'unissant à d'autres partenaires en petits groupes, tandis que les exclus essaient de ramener la musique lente. Les duos ou les trios, légers, comiques, fluides, excités ou lyriques, qui sont entendus entre les passages durant lesquels tous se disputent, s'écartent graduellement de la musique lente. Vers le milieu, le cor déplore son aliénation dans un long solo non accompagné, qui amène les autres à un duo menaçant pour trompettes et à un trio plein de colère pour trombone et cor. Tout cela aboutit à une altercation violente. Mais on se met finalement d'accord pour continuer à jouer la musique lente du début. Après une certaine période d'unanimité, le désaccord réapparaît : le trombone ténor, qui n'a jamais eu son propre solo comme les autres, arrête tout le monde pour jouer celui-ci ; il est accompagné par une trompette avec sourdine. Le dénouement est abrupt et agressif.
Ce quintette, plutôt que d'utiliser toutes les ressources de timbre possibles avec les sourdines modernes, se base principalement sur des matériaux et des textures linéaires et sur la virtuosité instrumentale pour laquelle l'American Brass Quintet est célèbre.
Elliott Carter.