Parmi les nombreuses personnalités singulières qui ont créé des œuvres d'art dans des asiles psychiatriques, Adolf Wölffli est certainement l'une des plus remarquables. Produites avec une intensité qui n'a jamais faibli pendant des années, ses fantaisies labyrinthiques sont, en effet, un recueil obsessionnel, fruit de la tentative de son psychisme tourmenté pour désigner rituellement les conditions de la naissance d'un univers qui annullerait celui dans lequel son corps était absurdement contraint d'habiter.
Je reviens toujours à la synthèse unique en son genre de Wölffli, mélange de stimuli oral, verbal et visuel, vers ce chaos à peine maîtrisé, formé de couches successives d'expériences furieuses, pas seulement parce que, bien que d'une manière très différente, mon propre parcours compositionnel m'a amené toujours plus près de l'idée d'une forme composée qui ne soit pas prisonnière d'unités structurelles, mais qui soit plutôt la masse imparfaitement mémorisée de tendances linéaires en perpétuelle mutation et de soudaines ruptures destructrices.
Allgebrah (c'est le propre terme de Wölffli pour désigner le principe créateur fondamental sous-tendant sa vision interne) cherche à redéfinir un certain nombre de mes préoccupations constantes durant ces dix dernières années, parmi lesquelles l'opposition d'un instrument soliste et d'un groupe plus important d'instruments, le chevauchement de strates multiples d'activités quelquefois fortement contrastées et de l'application d'actes ponctuels d'une volonté emblématique à la sélection subjective de matériaux extraits de ceux produits par la matrice pré-compositionnelle de douze strates, elle-même résultant de la surimposition de trois types distincts de comportements musicaux.
Ainsi ce n'est qu'occasionnellement qu'un seul type d'activité émerge sans ambiguité comme objet du regard ; plus fréquemment, on saisit la confusion de textures relativement indépendantes — énoncés hésitants ou explosions hystériques qui, à peine commencés, sont aspirés, impuissants, vers le flux protéen du potentiel générateur.
Le hautbois soliste ne fonctionne pas comme soliste détenant l'autorité ; au contraire, il reste lui aussi confus et instable, tentant de glaner quelque consolation que ce fût d'évènements se déployant et disparaissant trop rapidement pour être complètement absorbés, reproduits et commentés. A plusieurs occasions néanmoins, ses va-et-vients et ses incursions sauvages ont un effet sur le reste de l'ensemble, ce dernier agissant comme une chambre d'écho incontrôlable, piochant, amplifiant et prolongeant de manière imprévisible des éléments minimes dans le discours vacillant du hautbois.
Brian Ferneyhough, programme du concert de création.