Aftersounds trouve son origine dans un cycle de peintures de Wladyslaw Strzeminski (1893-1952) datant des années 1940, dans lequel le peintre polonais avant-gardiste s’intéresse au phénomène physiologique de l’image rémanente (en anglais afterimage) : lorsqu’on ferme les yeux après avoir fixé une lumière, on peut distinguer un point sombre, à l’endroit exact de la pupille où était la lumière et de la couleur complémentaire de celle-ci. Le titre de l’œuvre évoque bien sûr une transposition sonore du phénomène, transposition que le compositeur Marcin Stańczyk a tentée à plusieurs reprises ces dernières années, mais à laquelle il se livre ici pour la première fois avec l’aide de l’informatique musicale.
« Je ne veux toutefois pas d’une transposition directe, dit-il, je préfère traiter l’idée sous l’angle psychologique – ce qui me permet de m’affranchir de la chronologie stricte du phénomène physiologique : le "son premier" et le “son rémanent” peuvent apparaître simultanément. Je me suis pour cela tourné vers la dimension théâtrale de la musique, et donc vers le théâtre musical, en cassant la relation de cause à effet qu’un geste ou un son peut évoquer dans l’esprit de l’auditeur, ou en jouant sur tous les éléments cachés, ou non importants, qu’on peut percevoir d’un spectacle purement musical. L’aftersound, le postson, ce peut être justement tout ce qu’on perçoit du spectacle musical, lorsqu’on s’abstrait du son. C’est pourquoi j’ai choisi un effectif de deux percussionnistes, entourés d’une multitude d’instruments, auxquels je demande en outre d’utiliser la voix – une voix non lyrique, non formée, non entraînée, parfois seulement parlée. »
Ce concept de post-son se traduit ainsi, du point de vue du matériau compositionnel, par un vaste travail de déconstruction du geste : la dissociation des gestes instrumentaux et des sources sonores ou la déconnexion des divers aspects d’un même événement permettent au compositeur de donner le sentiment qu’aucun élément n’est à sa place. Parmi les exemples les plus éloquents de théâtralité, citons : le jeu du bout des doigts du marimba, à peine audible, ou les arabesques des mains dans le vide, comme pour jouer un instrument, mais sans le toucher – grâce à des micros placés sur les mains des musiciens, ces arabesques vont servir de source pour l’électronique en temps réel. D’un bout à l’autre de la pièce, par leurs gestes, instrumentaux ou non, les percussionnistes sont des sculpteurs de la matière sonore.
« En ce qui concerne la partie électronique, je voudrais qu’elle “parle”, ajoute Stańczyk. Elle n’a pas de voix, pas de mots, mais elle emprunte à la parole son caractère – son rythme et sa prosodie – et parle ainsi une langue imaginaire, incompréhensible, certes, mais éloquente quand même, et capable de communiquer. En outre, au cours de la composition, une autre source d’inspiration s’est glissée dans le processus créatif : Les Boutiques de cannelle (Sklepy cynamonowe) de l’écrivain polonais Bruno Schulz, un texte dont j’ai extrait quelques passages qui viennent nourrir l’électronique. »
Jérémie Szpirglas, programme Ircam du concert du 12 septembre 2014.