Les sept Paroles bénéficie des développements les plus récents sur le plan de la synthèse vocale. Pendant le concert, les échantillons audio sont activés par un seul clavier situé au centre de l’orchestre. De cette façon, la synchronisation entre musiques acoustique et électronique est parfaite. Cette technique permet de confronter un chœur virtuel au chœur réel. Ceci est d’une très grande importance car les chanteurs, si doués soient-ils, sont limités en terme de registre ainsi qu’en capacité d’intonation. Tristan Murail indique : « À certains moments précis, le chœur virtuel chante dans l’extrême aigu ou dans l’extrême grave et produit des micro-intervalles qui complètent les hauteurs diatoniques du chœur réel. J’utilise également des effets électroniques d’écho et de spatialisation qui présentent des similitudes avec le Requiem de Berlioz. » Mais la référence à la musique de l’époque romantique s’arrête là. Les chanteurs de chair et d’os ne chantent pas une histoire ni ne traduisent d’émotion vive, sauf au milieu de la partie 4 où la partie de chœur atteint un point culminant. À l’échelle de l’ensemble de la pièce, l’orchestre et le chœur sont parfaitement unis. Ceci correspond à la sobriété de l’approche de Tristan Murail qui n’a pas voulu écrire un oratorio, mais « une œuvre orchestrale avec voix ». Il s’est également tout à fait détourné de l’idée d’un soliste qui représenterait le Christ.
« Je voulais absolument éviter le pathos du XIXe siècle. J’espère que l’émotion viendra de la forme musicale et non des mots. Afin de ne pas me laisser entraîner par le récit, j’ai d’abord écrit les notes. Ce n’est qu’ensuite que j’ai réfléchi à la mise en place du texte. J’ai pu ainsi dans mon processus de composition tenir le contenu sémantique à distance. » L’œuvre débute par une introduction orchestrale qui édifie un décor où sont déjà mis en exergue des éléments musicaux déterminants. Suivent les sept paroles (sept parties enchaînées). Les sons de cloches ne sont pas échantillonnés, ce sont des sons de synthèse. Les textes n’ont pas tant trait aux sept dernières paroles du Christ en elles-mêmes qu’à un besoin spirituel plus général qui correspondrait à la condition humaine. Les mots désespérés du Christ en croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-Tu abandonné » (Matthieu, 27-46), sont empruntés à un psaume dans lequel le croyant se plaint explicitement auprès de l’Éternel : « Mon Dieu, j’appelle de jour et Tu ne réponds pas ; et, de nuit, je ne m’apaise pas. » (psaume 22-3). Murail a été touché par cette plainte et par l’interprétation radicale qu’en donnera Nietzsche : « Dieu est mort. » Sa composition se termine dans la déception par un choral extrêmement doux, presque murmuré, dans lequel le chœur répète la ligne du psaume. Dans l’œuvre de Tristan Murail, la voix humaine joue un rôle discret. Il n’y a pas de chant soliste. Le chant choral intervient trois fois seulement. Est-ce que Tristan Murail cherchera à dépasser à l’avenir l’énorme faille existant entre chant et spectralisme ? Gérard Grisey s’est tourné vers la musique vocale dans les dernières années de sa vie de manière très réussie. Tristan Murail nous dit que : « la voix humaine ne fait partie d’aucun de mes projets pour les trois prochaines années. Il y aura peut-être des possibilités plus tard. Pendant la composition des sept Paroles, j’ai fait des découvertes dans ce domaine. J’ai par exemple été très satisfait du choral spectral qui revient à plusieurs reprises et de la manière dont, dans la cinquième partie, la mélodie vocale est colorée par le son de l’orchestre. Le chœur chante des intervalles simples qui sont perçus différemment grâce aux harmonies spectrales de l’orchestre. »