Livret Ă©tabli par le compositeur d’aprĂšs les lettres de Louise du NĂ©ant

1. Prélude du silence

Louise
Je sais que le silence est le nƓud de la perfection, et je tĂąche, autant que je le puis, Ă  le garder, car je dĂ©sire ardem­ment de plaire Ă  mon JĂ©sus ; mais je vous prie de m’enseigner la maniĂšre de lui ĂȘtre agrĂ©able ; je ferai trĂšs exac­tement tout ce que vous me prescri­rez. Ne craignez pas de me faire aucune peine. On fait tout avec la grĂące divine. Je me sens, par la misĂ©ricorde de Dieu, si disposĂ©e Ă  tout ce qu’il voudra, que si je devenais encore aussi folle que j’ai Ă©tĂ©, je l’en bĂ©nirais ; la crĂ©ature doit servir de quelque chose Ă  son crĂ©ateur. Que m’importe en quel Ă©tat il me mette, je dirai toujours comme mon aimable JĂ©sus : Mon Dieu, que votre volontĂ© soit faite, et non la mienne. Je vous prie trĂšs instamment, monsieur, de conti­nuer vos soins charitables, et de ne vous pas rebuter de la dissipation de mon esprit, et du grand ïŹ‚ux de paroles que vous avez remarquĂ© de moi. Votre trĂšs humble et obĂ©issante servante, Louise du NĂ©ant.

2. PremiĂšre mortification

J’avais une grande tentation de man­ger d’un pĂątĂ©, j’en ai coupĂ© par mor­ceaux, et l’ai mis avec de la saletĂ©, et puis l’ai mis Ă  terre, et l’ai ramassĂ© avec la langue comme une bĂȘte.

3. Passacaille des détestations

Louise

 faire gĂ©mir la nature en lui donnant tout ce qu’elle ne voudra point. Je ne suis plus Ă  moi ; mon cƓur, mon Ăąme, mon corps, et tout ce que je suis, est le domaine de Dieu. 
 tout ce qu’il y a de crĂ©Ă© m’est insup­portable, et je ne puis me souffrir moi-­mĂȘme. 
 je ne vaux rien, je ne souffre pas tant que j’ai mĂ©ritĂ©, Ă©tant digne d’un
million d’enfers. 
 je demeure quelquefois Ă  genoux deux heures, immobile comme une statue, sans savoir oĂč je suis, ni ce que je fais. 
 je ne me mĂȘlais plus de moi­mĂȘme, et je m’étais dĂ©faite de ma volontĂ©. 
 je conçois contre moi une aversion incroyable. Il m’est arrivĂ© de me faire battre ; je me jetai entre les bras de celle qui me frap­pait, aïŹn qu’elle redoublĂąt ses coups ; et je disais tout bas : Bon, ma chĂšre, frappez plus fort, et vengez bien mon Dieu ; je crois que je me serais fait dĂ©chi­rer, tant j’avais d’aversion pour moi­-mĂȘme. 
 ĂȘtre abjecte et mĂ©prisable.

4. Mariage mystique

Louise
Un jour, je fus bien trois heures Ă  jouir de sa prĂ©sence, avec un plaisir que je ne saurais vous exprimer ; car je m’étais enfermĂ©e seule avec mon divin Époux dans ma priĂšre, oĂč il semblait que nous parlions cƓur Ă  cƓur. Il me dĂ©clara ses volontĂ©s sur moi, et il me ïŹt connaĂźtre que je ne mourrais pas si tĂŽt, et qu’il voulait me laisser vivre pour souffrir des maux si extraordinaires qu’à moins qu’il ne me fĂźt une grĂące particuliĂšre, je ne pourrais les suppor­ter. Il me rĂ©pĂ©ta cela plusieurs fois. Oui, me dit­-il, ma chĂšre ïŹlle et mon Ă©pouse, je veux ĂȘtre uni Ă  toi par les grandes croix que je te prĂ©pare, sois constante.

5. Passacaille des détestations reprise

Louise
Je ne suis plus Ă  moi ; mon cƓur, mon Ăąme, mon corps, et tout ce que je suis, est le domaine de Dieu. Je sais que je suis sur une mer orageuse, oĂč je ne vois qu’écueils de tous cĂŽtĂ©s. 
 tout ce qu’il y a de crĂ©Ă© m’est insup­portable, et je ne puis me souffrir moi­mĂȘme. 
 frappez plus fort
 CouchĂ©e comme je suis dans un lieu trĂšs malsain, oĂč il n’entre que le feu d’une chandelle, oĂč la neige tombe jusque sur mon lit, nĂ©anmoins je me porte fort bien ; on aurait pu me com­parer au mont Etna, qui est tout blanc de neige au ­dehors, et tout plein de ïŹ‚amme au­ dedans ; car tandis que je suis toute blanche de neige, je suis dans le cƓur rouge et embrasĂ©e des ïŹ‚ammes divines. 
 ĂȘtre abjecte et mĂ©prisable.

6. Litanie des humiliations

JĂ©sus
Ma chĂšre Ă©pouse, sois moi ïŹdĂšle jus­qu’à la moindre chose ; je souhaite que tu fasses tout le contraire de ce que tu as fait autrefois ; tu as eu de l’or­gueil et de la vanitĂ©, il faut que tu t’abaisses maintenant, que tu obĂ©isses Ă  tout le monde ; tu as mangĂ© de bons morceaux, il faut maintenant que tu manges ce qu’il y a de plus mauvais ; tu aimes Ă  demeurer longtemps au lit pour ĂȘtre plus belle, tu te lĂšveras de grand matin ; tu aimais le luxe dans les habits, tu porteras des haillons et le reste des pauvres ; tu Ă©tais pas­sionnĂ©e pour l’honneur et la ïŹ‚atte­rie, et tu voulais passer pour un grand esprit ; il faut que tu passes pour une folle, et que tu aimes le mĂ©pris, les affronts, les rebuts, les anĂ©antisse­ments.Tu as eu soin de bien traiter ton corps, tu lui feras toutes les macĂ©ra­tions que tu pourras ; enïŹn, il faut que tu ne mettes aucun empĂȘchement Ă  la GrĂące, et je prendrai un plaisir extrĂȘme Ă  reposer en ton cƓur ; car si tu fais cela purement pour moi, tu feras tous mes dĂ©lices.

7. PremiĂšre extase

Louise
J’irai partout criant : Amour, amour, je ne veux plus vivre que du divin amour


8. ScĂšne des folles

Louise
Mes maĂźtresses les pauvres m’aidÚ­rent Ă  me mortiïŹer ; car j’entrepris de faire dix-huit lits dans un jour, et de balayer deux fois deux grandes salles. Tous les soirs je dĂ©shabillais mes maß­tresses pour les mettre au lit, et le matin je les habillais. Toute la jour­nĂ©e je leur rends d’autres services qui leur sont nĂ©cessaires ; je sers mes maĂźtresses avec tant d’amour, que der­niĂšrement j’en portais une entre mes bras, et l’autre sur mon dos, pour les mener oĂč il Ă©tait nĂ©cessaire ; je les recouchai. Que pourrais­je bien faire pour garantir du froid mes pauvres maĂźtresses ? je voudrais bien moi seule me charger de tous leurs maux. Je verse des larmes en abondance, quand je les vois beaucoup souffrir, et je consi­dĂšre que c’est moi qui mĂ©rite tout ce qu’elles endurent. HĂ©las ! faut­il que l’innocent pĂ©risse pour le coupable! Je crois que ces bonnes personnes font pĂ©nitence pour moi.

9. DeuxiĂšme mortification

Louise
Je ne fais guĂšre d’autres pĂ©nitences que de jeĂ»ner deux fois par semaine, mais pour y supplĂ©er j’ai pratiquĂ© d’autres mortiïŹcations pendant la grande maladie de sƓur P. Je lui raclais la langue, et j’avalais les ordures que j’en tirais ; je mangeais aussi ce qu’elle avait mĂąchĂ© et rejetĂ© de la bouche, aïŹn de me chĂątier de la rĂ©pugnance que j’avais Ă  la servir.

10. Louise abandonnée

Louise
Mon cher Amant m’a fait la grĂące de me dire, il y a quelques jours, que j’aurai des peines inconcevables ; il me tĂ©moigna aussi qu’il n’était pas content de ce que derniĂšrement je refusai ses caresses spirituelles. En se retirant il ajouta que je ne le verrais de long­temps, et que j’étais une mutine. Il me dit tout cela au fond du cƓur ; je l’entendis aussi distinctement que si je l’eusse entendu des oreilles du corps. Car ainsi qu’il s’est vengĂ© de ma rĂ©sis­tance Ă  ses caresses ; son Ă©loignement m’a jetĂ©e dans un abĂźme de tristesse, croyant qu’il m’avait abandonnĂ©e, parce qu’ensuite je me trouvai atta­quĂ©e par des tentations de colĂšre, de pensĂ©es sales, et de plusieurs autres misĂšres qui me portaient au dĂ©ses­poir. Je me renfermai dans mon cachot, et ne sentant aucun secours de ce bien ­aimĂ©, je pris une grande croix entre mes bras, et la regardant ïŹxement en me mettant Ă  genoux devant elle, je lui dis : Ô bonne croix, ĂŽ chĂšre Ă©pouse de mon JĂ©sus ! je dois ĂȘtre attachĂ©e sur le cĂŽtĂ© qu’il n’occupe pas, il l’a laissĂ© vide pour moi


11. Louise jalouse de Madeleine

Louise
Tandis que j’étais dans un confession­nal pour ĂȘtre plus recueillie, je vis l’image de sainte Madeleine qui embrassait les pieds de mon JĂ©sus. Il me prit une si grande jalousie contre elle, que je me mis Ă  crier, par un trans­port qui vous paraĂźtra une vraie folie. Donnez ­moi votre place, lui dis-­je ; il y a assez longtemps que vous possĂ©dez mon amant, je veux aussi le possĂ©der Ă  mon tour. Ce n’est pas la premiĂšre fois que ces sottises sont arrivĂ©es. Quand je vis qu’elle ne se retirait pas, je pris mon cruciïŹx, je lui embrassai les pieds, et je lui disais : Je le tiens aussi bien que vous. Je le regardais ïŹxement, et les larmes me vinrent aux yeux ; je lui ïŹs mille protestations de faire pĂ©ni­tence comme la Madeleine, aïŹn de lui ĂȘtre aussi agrĂ©able qu’elle.

12. DeuxiĂšme extase

Dieu
Je dĂ©sire que tu me sois extrĂȘmement ïŹdĂšle ; que tu corriges jusqu’à la moindre petite faute ; que tu mortiïŹes continuellement tes sens ; que tu rentres sans cesse en toi­ mĂȘme pour m’entretenir. Sache que la moindre tache qui obscurcit ton Ăąme tant soit peu, me fĂąche et m’oblige Ă  m’éloigner de toi.

Louise
Seigneur, comment ferai-­je pour obser­ver tout ce que vous désirez de moi ?

Dieu
Ma ïŹlle bien­ aimĂ©e, retire ­toi des crĂ©a­tures ; je veux que tu gardes un grand silence ; que tu fasses tous les mois une retraite de trois jours en l’honneur des trois Personnes de la TrĂšs Sainte TrinitĂ© ; que tu fasses une de huit jours aux quatre fĂȘtes solennelles de l’an­nĂ©e, comme ton PĂšre spirituel l’ordon­nera ; que tous les vendredis tu la fasses pour honorer la Passion de mon Fils ; et parce que tu m’as demandĂ© plu­sieurs fois d’ĂȘtre ïŹlle de la Passion, tu porteras ce jour-­lĂ  la couronne d’épine et la robe nuptiale, et tu feras la dis­cipline trois fois, le jeĂ»ne au pain et Ă  l’eau, et tu mangeras par terre.

Louise
Il ajouta qu’il voulait entiĂšrement se communiquer Ă  moi, et me faire de grandes faveurs ; mais il m’obligea Ă  en garder le secret, et Ă  me tenir fort cachĂ©e. Il me semblait que mon Ăąme s’était envolĂ©e dans le sein de la divi­nitĂ©, et que j’étais en Paradis ; je tom­bai dans de si violents transports d’amour, que je ïŹs de grandes extra­vagances ; je criais tout haut : Aime ­t­on mon Amour ! J’étais seule, et je par­lais aux crĂ©atures sans raison, et je leur demandais si elles aimaient mon JĂ©sus. Quelle folie !

13. TroisiĂšme mortification et troisiĂšme extase

Louise
Le samedi, je ïŹs venir dans mon cachot deux de mes maĂźtresses, qui ont depuis trois ans des ulcĂšres incurables aux jambes. Il y avait plus de quinze jours que j’étais fortement inspirĂ©e de les lĂ©cher ; je les enfermai l’une aprĂšs l’autre dans mon cachot, je leur don­nai Ă  dĂźner, et de l’argent que j’avais ; aprĂšs que j’eus fait ma priĂšre je vou­lus commencer, mais la puanteur Ă©tait si grande que le cƓur m’en ïŹt mal ; cependant, sans balancer davantage, je me jetai dessus. Comme je n’en pou­vais plus, je cessai, aïŹn de prendre haleine ; je craignais de lĂ©cher les endroits les plus puants, mais je me disais Ă  moi-­mĂȘme : LĂšche, lĂšche, vilaine bĂȘte, et punis ta mauvaise langue qui a tant offensĂ© Dieu. La bontĂ© divine me donna tant de courage, que je le ïŹs Ă  dessein de soulager mes maß­tresses qui me faisaient pitiĂ©. Je sen­tis alors un si grand transport d’amour, que je baisais ces ulcĂšres avec plai­sir ; je pensai mĂȘme tomber en pĂąmoi­son. Je pleurais de joie, puis j’exhortais mes pauvres maĂźtresses Ă  souffrir avec patience, et Ă  aimer Dieu de toutes leurs forces.

14. Tentation de la glossoptysie

Louise
Ah! mon Dieu, je me suis Ă©loignĂ©e de mon pays pour mener une vie cachĂ©e, et pour ĂȘtre le rebut de toutes les crĂ©a­tures ; et je trouve encore des gens qui ont de la bontĂ© et de la charitĂ© pour moi, et qui me regardent comme une bonne servante de Dieu. Mais, hĂ©las! oĂč sont les services que je lui ai ren­dus ? Cela vient peut-­ĂȘtre de ce que je parle de Dieu ; en vĂ©ritĂ© il me prend forte envie de me couper la langue, aussi bien il ne m’en faut point pour aimer Dieu : Un grand saint se l’est coupĂ©e, qui ne mĂ©ritait pas cette punition comme moi ; mais il n’importe, mon cher PĂšre, ne laissons pas d’aimer Dieu ; oui, aimons-­le, et ne travaillons que pour sa gloire toute pure. Ce qui me console, c’est que je suis dans la souffrance.


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