La question de la syntaxe et du sens purement sonores de la « langue musicale », qui fonde l’écriture et le travail d’hybridation de Préfixes, constitue un fil rouge de mon écriture. Ainsi la première version de Préfixes, qui remonte à 1991, est-elle antérieure à mes opéras (Go-gol, Les Nègres, La Métamorphose...) ou encore au Poème battu. Toutes ces dramaturgies, qui s’appuient sur des textes (au sens où elles mettent en relation le son et le sens), m’ont permis d’élargir et d’affiner mes recherches sur l’hybridation et la synthèse croisée, initiées avec Préfixes. Je pense notamment aux injures tambourinées du théâtre de Genet ou aux énumérations de Novarina. Ce long travail sur les langues s’est poursuivi dans Le Petit Prince et La Passion après Auschwitz, s’appliquant à l’araméen, à l’hébreu, au français médiéval et aux poésies de Paul Celan.
Dans Préfixes, toutefois, ni texte ni narration : la forme est une dramaturgie purement sonore, une forme purement musicale en somme, née de l’hybridation entre la voix et les instruments, ou, autrement dit, entre les phonèmes d’une langue libérée de sa signification et les transitoires d’attaque des instruments croisés. Dans sa première version, la pièce se présentait sous la forme d’une strette continue, qui permettait de créer une mixité entre les instruments acoustiques et leurs hybridations par la polyphonie et l’espace.
En remettant l’ouvrage sur le métier, j’ai pu identifier de véritables profils thématiques déjà existants dans la version originale, mais qui n’y étaient ni identifiés ni développés. Dans la nouvelle version, les identités thématiques des instruments créent des « micro-scènes » non théâtrales mais néanmoins dramaturgiques qui, guidées par des grilles harmoniques totalement absentes de la première version, façonnent la forme de la pièce.