Texte cité dans

« Je suis un passeur ». Entretien avec Yan Maresz

par Jérémie Szpirglas

1 juin 2013


Yan Maresz, vous avez connu un parcours inhabituel pour un compositeur de la sphère dite « contemporaine » : vous êtes passé par le jazz, avez collaboré longuement avec le guitariste John McLaughlin et étudié le jazz au Berklee College of Music de Boston puis la composition à la Juilliard School de New York…

Le Berklee College of Music était parfait pour le jazz, mais pas pour la composition qui m’intéressait de plus en plus. En 1987, j’ai décidé de passer le concours d’entrée à la Juilliard en composition où j’ai fait tout mon cursus avec David Diamond et Milton Milton Babbitt. Cette activité de compositeur s’est développée en parallèle de ma pratique du jazz (orchestrations, arrangements, et autres collaborations). Les deux étaient toutefois complètement distinctes, sans lien entre elles, et puis la composition a pris le pas sur l’autre, aux alentours de 1991. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je suis rentré en France : à l’époque, aux États-Unis, la musique contemporaine était assez « ghettoïsée » dans les universités et il me semblait que tout se passait en Europe. De plus, je comptais faire le cursus de l’Ircam, et dès lors que j’arrêtais le jazz, je n’avais plus aucune raison de rester à New York, où j’ai quand même passé huit ans.

Vous citiez à l’instant David Diamond et Milton Babbitt : qui furent vos autres professeurs ou modèles ?

À ce moment-là, j’étais très influencé par Luciano Berio et, dans une moindre mesure, Pierre Boulez. J’ai bien connu Berio : j’étais, et je suis toujours, fasciné par sa musicalité irrésistible. Je l’ai fréquenté, mais je ne peux pas dire que j’ai étudié auprès de lui.

Vous êtes connu — et reconnu d’ailleurs — pour vos intenses activités de pédagogue. Vous avez notamment enseigné la composition aux étudiants du Cursus d’informatique musicale de l’Ircam de 2006 à 2011 : qu’est-ce qui vous a attiré là, alors que votre production de musique électroacoustique est somme toute limitée ?

Enseigner fait aujourd’hui partie intégrante demon métier, même si j’ai commencé sur le tard : je travaillais déjà depuis une quinzaine d’années. C’est au Cnsmdp et au Cursus de l’Ircam que j’ai pris mes premiers postes d’enseignement, la même année. Enseigner à l’Ircam m’a d’emblée séduit, car c’est une maison que je pense bien connaître, et pour laquelle j’ai une grande affection. Étant passé moi-même par ce Cursus, je sais combien un jeune compositeur, fraîchement arrivé à l’Ircam, a besoin d’un guide qui l’oriente dans les méandres de cette mémoire, étonnamment assez peu vivace — pour ce qui est de confronter le travail présent des compositeurs avec les travaux passés.

C’est un savoir sédimenté ?

Disons que, de mon point de vue, l’Ircam ne travaille pas suffisamment son histoire et ses acquis. Beaucoup de choses merveilleuses — des partitions, mais aussi et surtout des objets et idées technologiques — sommeillent dans les fonds de tiroir : seuls les habitués des lieux, qui fréquentent l’institut depuis des années, savent où elles se trouvent. Pourtant, la découverte des expériences que leurs aînés ont menées avant eux est passionnante en plus d’être primordiale pour les jeunes compositeurs. Cela permet aussi de leur donner des moyens supplémentaires pour éviter les effets de mode qui sont légion du point de vue technologique. En plus du rôle de professeur de composition, j’ai donc, pendant cinq ans, endossé celui de passeur d’informations et de documentations. Les étudiants du cursus sont archi-diplômés. Ils se sont tous formés auprès d’excellents professeurs et ne sont pas là pour apprendre à écrire, mais pour qu’on leur donne les clefs d’un outil complexe et pour aborder la problématique de l’écriture avec le médium électronique. Tout ceci ne m’empêchait bien sûr nullement de porter un regard critique sur leurs choix et leur travail musical par ailleurs.

Et aujourd’hui ?

Aujourd’hui, j’enseigne au CRR de Boulogne, où je tiens la classe de musique électronique, et au Cnsmdp, où, après avoir enseigné l’orchestration pendant cinq ans, j’enseigne en première année les « Nouvelles technologies appliquées à la composition » : c’est une classe d’électroacoustique, où je donne aux étudiants une formation de base, « schaefferienne » dirons-nous. Il faut bien commencer par le commencement et la culture du son est un aspect essentiel de notre métier.

Manifeste 2013
© Ircam-Centre Pompidou juin 2013