Dédiée « à l’ami et au compositeur Philippe Hurel », l’œuvre fut composée entre 1993 et 1994. Le principe du continuo, inscrit dans le titre sans parenthèses, se réfère de manière allusive ou cachée à la technique d’écriture baroque. Certes, plus dans l’idée de pulsation ininterrompue et obstinée que dans celle de soubassement chiffré propre à créer des climats harmoniques. Ce continuo évoque ici une continuité absolue, faite de permanences enchevêtrées, s’épaulant les unes les autres en vue d’un effort commun à poursuivre. D’où l’autre acception du titre, plus morale cette fois, dès lors qu’on en élimine les parenthèses 1.
La clarté d’expression qui caractérise le style du compositeur est portée à son comble dans cette œuvre. Le principe de continuité qui anime la pièce procède d’une volonté évidente de logique. Toutes les idées de l’œuvre sont déduites, soit d’un son initial qui porte déjà en lui ses propres développements, soit de processus qui, chauffés à blanc, doivent s’épuiser et mourir. Mais ces mouvements, inverses pour qui voudrait les distinguer, sont toujours complémentaires dans Continuo(ns). En ce sens, on peut écouter l’œuvre comme une métaphore sonore des lois du vivant, pour lesquelles des éléments qui sont détruits en engendrent déjà d’autres dans l’acte de disparaître. La continuité s’accompagne ici de fébrilité, même si les plages de calme et de suspens sont nombreuses. Rares sont les instants de silence dans la partition — au mieux, relève-t-on, ici ou là, quelques respirations. Ce qui frappe indubitablement dans cette œuvre, c’est l’extraordinaire variété dans l’ordre de succession et d’apparition des différentes sections qui sont autant de tableautins irisés. Ce qui frappe plus encore, c’est comment le compositeur a réussi à enchaîner ces actions ; comment il est parvenu ainsi à créer un rythme général de l’œuvre, soutenu autant qu’articulé 2. Une des techniques les plus souvent employées par Philippe Leroux pour obtenir ce résultat consiste à épuiser les figures retenues, soit en les réduisant jusqu’à une entité simple qui occupe l’espace entier de la valeur métronomique de base, soit au contraire en les amplifiant et en les complexifiant jusqu’à les faire éclater. Mais toujours suivant des progressions arithmétiques simples.
L’œuvre est la première d’un triptyque qui comprend aussi (d’)Aller pour violon et ensemble, et Plus Loin pour orchestre. Les trois titres accolés forment une phrase.
La continuité procède souvent d’une illusion magistralement construite : si les sections se suivent d’une façon aussi logique — condition nécessaire pour que soit créé un rythme général —, c’est que le compositeur semble annoncer chacune d’entre elles dans celle qui la précède. La composition peut être envisagée comme un processus d’engendrements, comme une série d’opérations génétiques dans laquelle l’Alpha se confond de manière télescopique avec l’Oméga.
Dominique Druhen.