Atli Ingólfsson s'est souvent intéressé au piano depuis quelques années, à la fois comme instrument prenant part à divers ensembles et en tant que soliste comme dans O Versa (piano et 12 instruments, 1991).Pour cette deuxième pièce concertante que représente donc Envoi, le compositeur islandais déborde un peu de son cadre instrumental habituel et emprunte la voie des enrichissements de l'électronique dans un état d'esprit très précis : plutôt que d'inventer ou de composer des sons, il s'agit pour lui de « composer des fonctions, des comportements qui unissent l'électronique à l'instrument ». On retrouve en revanche ici son goût pour notre culture à travers ce nouveau titre français (après Et toi, pâle Soleil et Le pas, les pentes) riche en connotations poétiques — la ballade de la fin du XIVe siècle comporte une sorte de dédicace appelée « envoi » —, mais dont le choix se réfère plus simplement à un type d'opération lié aux automates et ordinateurs ou, de façon plus concrète dans cette oeuvre, à quelques touches du piano Midi qui déclenchent des phénomènes sonores.
L'étude du caractère métrique de certaines poésies islandaises anciennes a précisément stimulé chez Atli Ingólfsson l'exigence de véritables « fonctions » rythmiques et une recherche de « situations métriques » dont la partie de piano fournit ici un exemple vers le milieu de la pièce en s'inscrivant dans des mesures irrégulières qui reviennent pourtant presque périodiquement.
Il n'est pas étonnant de percevoir dans Envoi cette dialectique du régulier et de l'irrégulier, du simple et du complexe, qui frappait déjà dans Le pas, les pentes (1991), mais le compositeur lui a adjoint une dimension nouvelle : des rythmes déclenchés automatiquement par certaines notes du piano Midi forment une polyrythmie qu'un seul interprète ne pourrait pas réaliser. L'aspect très vivant des rythmes ne peut cependant pas être dissocié des autres caractéristiques de la musique d'Ingólfsson, et notamment de ce qu'il appelle la « surface perceptive » : les jeux d'aimantation, d'attirance qui unissent certains sons, certaines couleurs harmoniques et certains timbres composés.
Dans Envoi se manifeste l'idée de « faire fondre la logique dans un timbre » au sens où les dix-neuf instruments de l'ensemble participent à une fusion de leurs timbres individuels - comme dans le cas des cordes au départ. Mais le timbre ne neutralise pas la musique, il laisse une place importante à des notions de résonance, à des reliefs mélodiques et harmoniques (six sons principaux dominent l'oeuvre sur la base de la note fa) et entretient même certaines polarités, certains jeux sur la mémoire. Le recours au piano Midi marque chez le compositeur une étape supplémentaire dans sa recherche du discursif.
En choisissant des fonctions parfois contraignantes qui participent à la composition — un système de delay, par exemple, générant de nouveaux sons ou rythmes après l'émission d'une note —, il tente de maintenir un rapport mutuel entre l'écriture et ces ajouts afin d'augmenter la « charge informative » (au sens de la théorie de l'information). Il vise aussi la différence avec « un soliste pour ainsi dire polyvalent — dont l'instrument est variable — et l'ensemble de possibilités fixes que représentent les autres instruments ».