« Le cœur est aussi large et vaste que les royaumes vides de l'espace ; il est sans limites ni contours » : le titre de cette pièce concertante pour alto et ensemble reprend donc les derniers mots de cette définition du Cœur — c'est-à-dire non de l'âme, mais de l'Espace existentiel — selon Hui-Nemg (678-713) fondateur du bouddhisme zen chinois. Et comme, toujours selon le même auteur : « il n'existe dans le cœur aucune grandeur mesurable », Klaus Huber a voulu que sa musique aussi s'écoule sans forme précise, ou plutôt selon la forme la plus neutre, la plus parfaite, celle du cercle.
Dans cette pièce, qu'il considère comme le dernier mouvement d'Erinnere Dich an G... composé juste auparavant, « l'essentiel du développement est fondé sur les cinq premières mesures, que l'on peut considérer comme un exergue. Il n'y a pas de contours précis, le son apparaît puis disparaît. Aucun des instruments ne domine. L'alto est certes responsable de la couleur de l'ouvrage — tout naît pour ainsi dire de son timbre — mais il ne s'impose absolument pas. Au contraire, l'orchestre l'entoure comme un cocon, et l'instrument soliste se fond dans sa sonorité jusqu'à se faire oublier. La musique se développe par petits cercles augmentant constamment leur diamètre ; elle ignore les oppositions et les subdivisions trop marquées, évoluant très lentement, imperceptiblement, comme si elle naissait d'elle même. J'ai ainsi essayé de créer une musique de résistance intérieure, une musique pleine de vie en même temps où s'accroît l'érosion du domaine de l'esprit, sans m'abandonner à une esthétique nostalgique, tournée vers le passé. » (Klaus Huber, Ecrits, Editions Contrechamps, Genève)