« Des amis polonais m'avaient demandé si pour le cinquantième anniversaire de la mort de Karol Szymanowski, je serais disposé à composer une petite musique de chambre avec voix, s'inspirant de sa toute dernière œuvre, une Mazurka pour piano (Opus 62 de 1934). J'ai accepté avec plaisir ce grand compositeur ayant toujours suscité mon intérêt, et par la même occasion j'ai voulu rappeler au souvenir l'extraordinaire poète et dessinateur polonais que fut Bruno Schulz, proche de Kafka, exécuté sans raison par les SS. » (Klaus Huber, Ecrits, Editions Contrechamps, Genève)
Cette pièce est donc un double hommage, mais elle tient aussi un double propos. C'est tout d'abord par le choix des fragments du poème de Schulz Le Printemps une apologie de la révolution qu'elle soit rouge ou verte, qu'elle se passe sur les barricades ou dans les champs, qu'elle soit sociale ou botanique ; Schulz appelant de ses vœux un « Printemps universel et définitif ».
C'est aussi, une nouvelle fois, une spéculation géométrique sur l'harmonie et le temps. On y retrouve cette ligne d'horizon musicale dont la présence est spécifique de la musique de Huber. D'une manière imagée on pourrait décrire cette pièce comme un voyage en train. Harmoniquement, elle part de très loin, puis se rapproche peu à peu d'une série d'accords tirés de la mazurka de Szymanowski ; on les entends une fois, puis la musique s'en éloigne comme si c'était une gare traversée. Par les fenêtres de ce train, on voit passer des rythmes multiples et simultanés. Celui, rapide, des traverses de la voie ferrée ; la pulsation plus lente des porte-caténaires ; celle irrégulière des aiguillages, des ponts, et des routes ; et les arbres ; et tout le paysage qui défile au loin. Vous même vous vous déplacez dans ce train dont les fenêtres n'ont pas toute la même dimension, et vous voyez des fragments de durées variables de ces rythmes régulièrement posés de long de la voie. C'est ainsi que Klaus Huber a composé sa pièce, superposant polyrythmie et polymétrie dans ce court voyage harmonique.