Hans Werner Henze partage avec certains artistes allemands de premier plan comme Goethe ou Bernd Alois Zimmermann la fascination de l'Italie. Quelques années après son installation dans ce pays en 1953, il a exprimé sa double appartenance culturelle à travers cette Kammermusik 1958, écrite d'après l'hymne In lieblicher Bläue (Dans un bleuté gracieux) de Hölderlin.
Sans renier la partie de la culture germanique qui lui est chère et même vitale – à Hölderlin il faudrait ajouter Trakl –, Henze la déplace vers les rayons du soleil auxquels le poète songeait en imaginant la Grèce ou l'Italie. Ces croisements de cultures – «...je pense à Hölderlin quand je suis en Italie tout comme Hölderlin pensait à l'Italie quand il était dans le Wurtemberg » – correspondent aussi, comme on le sait, à un moment de rupture musicale chez le compositeur allemand, sous le charme d'un certain lyrisme italien depuis l'opéra Le Roi-Cerf (1952-1955) notamment. Avec Hölderlin rêvant de la Méditerranée, Henze franchit pleinement le pas de cet éclectisme musical et de ces rapports ambivalents aux traditions qui font sa personnalité.
Les cycles vocaux du compositeur revêtent souvent une enveloppe instrumentale singulière ; comme Apollo et Hyazinthus (d'après Trakl) ou Being Beauteous (d'après Rimbaud), Kammermusik 1958 présente une formation restreinte avec notamment un ensemble d'instruments à vents peu commun et intéressant : clarinette, cor, basson. L'emploi de la guitare au premier plan – comme un protagoniste direct de la voix – donne aussi une couleur spécifique et une sorte de perspective formelle des timbres : l'articulation globale de ce cycle de treize pièces (douze lors de la première mondiale, la treizième – un adagio – ayant été ajoutée en 1963) se fonde sur les combinaisons suivantes : voix et guitare, voix et tutti, guitare seule, tutti sans voix ni guitare. De ces quatre possibilités sonores et du morcèlement de la prose de Hölderlin en six parties successives par le compositeur découle l'agencement quasi symétrique de la grande forme autour de la Sonata centrale (n° 7), qualifiée par Henze d' « axe instrumental » qui « réunit et rassemble tout, reprend ce qui a été et prépare ce qui viendra ».
Différentes relations se créent entre la poésie et la musique de par l'alternance de pièces vocales et instrumentales (de genres divers comme le Tiento pour guitare seule, par exemple, qui renvoie aux origines de la musique instrumentale espagnole) et l'attribution de titres – empruntés à certains passages de la poésie elle-même – à ces trois Tientos purement instrumentaux. L'unité de l'œuvre n'en est toutefois pas moins réelle, reposant sur une certaine rigueur formelle, mais aussi sur une conception thématique de grande ampleur, ainsi que l'a souligné Henze : « Des signes musicaux se transforment au fur et à mesure qu'ils suivent les paroles du poète. ». De nombreux liens, plus ou moins ténus, cimentent donc pour l'auditeur les parties entre elles, de même que de fréquents retours d'éléments déjà entendus (sortes de reprises) le situent au sein de chaque pièce. En termes de familiarité auditive, le langage général de l'œuvre n'est d'ailleurs pas des plus dépaysants avec son lyrisme vocal soutenu, ses fréquentes consonances... Recherchant ainsi un son harmonieux dès le milieu des années 50, Henze pense toujours que la musique « doit être élégante et transparente » !