Le recherche dite « spectrale » se fondait — du moins dans ses premières mises en oeuvre des années 75 — sur une dilatation du temps : l'« intérieur » du son, son « spectre », était élargi aux dimensions du monde instrumental ; le travail de la hauteur, du timbre (de l'orchestration), et dans une certaine mesure du rythme (des durées), relevait dès lors de cet univers microscopique, et pouvait faire l'objet d'une perception nouvelle, par le moyen d'une « synthèse instrumentale » à l'échelle macroscopique.
Les oeuvres récentes de Gérard Grisey semblent vouloir étendre ces distensions et ces contractions de l'expérience temporelle à des dimensions autres : entre une accélération des processus qui, au-delà du caractère gestuel de la mesure humaine, se dépasserait vers une musique « des insectes » et une dilatation qui tendrait vers le temps étale de la « musique des baleines ».
De la « masse sonore mouvante mais peu différenciée » des premières mesures du Temps et l'écume émergent peu à peu les accords fondus des vents, bientôt articulés « sur le souffle », comme par de « légères secousses ». Des figurations rapides gagnent la texture, essaimant entre les différents pupitres, pour finir par se dissoudre dans le décalage des strates de l'ensemble. Au terme abrupt d'un dernier éclat, le « bruit rythmé » du début ressurgit et referme sans le clore ce passage au travers du « crible des temps relatifs », par un raccourci temporel qui ouvre soudain une perspective saisissante.
Peter Szendy.