Karlheinz Essl (1960)

Déviation (1993)

for two trios

  • General information
    • Composition date: 1993
    • Duration: 15 mn
    • Publisher: Tonos
    • Commission: Wiener Konzerthausgesellschaft pour les solistes de l'Ensemble Intercontemporain
    • Dedication: A mon second fils, Marian

Premiere information

  • Date: 22 March 1994
    Location:

    Konzerthaus, Schubert Saal, Vienne


    Performers:

    Ensemble Intercontemporain

Program note

 

La précision jouissive avec laquelle Umberto Eco construit un labyrinthe dans son roman Le Nom de la rose renvoie à une passion de l'art redevenue à la mode : chercher à établir, dans ce qui a l'apparence du chaos, des règles susceptibles de réorganiser le désordre. Imprévisibilité est également un terme clé du vocabulaire de Karlheinz Essl ; il esquisse, dans ses compositions, des paysages sonores étonnants ; il prend plaisir à mélanger des types musicaux sur le modèle du labyrinthe. Le chemin à travers le dédale conduit finalement à nouveau hors de celui-ci, mais les méandres de son tracé sont imprévisibles.

Déviation tire son titre de l'effectif instrumental de la pièce. Au dire du compositeur, celui-ci rêvait, en mai 1993, de deux trios, qui se rapprocheraient l'un de l'autre par des effectifs analogues, mais que certaines disparités pousseraient à la déviation. Chaque trio est constitué d'un instrument à vent (flûte, clarinette basse), d'un instrument à cordes (violoncelle, alto) et d'un instrument percussif (clavier, percussion).

Déviation est constituée de trois sections d'une durée à peu près égale. Dans la première section il y a confrontation entre les deux trios. Un phénomène d'isolement progressif est perceptible, mais les instruments forment, aussi bien au sein des trios que dans le dialogue des instruments correspondant entre eux, des coalitions changeantes. Le point de départ est un champ nébuleux au bourdonnement égal, au sein duquel les couleurs sonores se mélangent subtilement.

Progressivement, des formes au contour mal équarri s'élèvent de ce «magma originel» ; le registre s'élargit, les instruments se désolidarisent et la mésentente s'installe : le rideau est levé.

Avant la deuxième section (les transitions sont fluides), un martèlement, perceptible à l'oreille, parvient à s'imposer. Bientôt tous les instruments s'entendent sur un même son répétitif, au rythme régulier, car la deuxième section présente le sextuor comme un collectif, dans lequel chaque partie conserve ses caractéristiques spécifiques, mais connaît toutefois des passages de rapprochement soudain, parfaitement perceptible.

Dans la troisième partie, on assiste à un effritement de cette union qui vient de se réaliser. On aboutit à une dispersion des lignes mélodiques, voire à leur isolation. Tenant compte de la virtuosité des musiciens qui allaient créer l'œuvre, Essl a composé une musique de chambre dans laquelle chaque partie est, d'une façon importante, développée par un soliste, dans laquelle aucune répétition ne vient faciliter la mémorisation auditive, où tout s'écoule et où le rythme de l'élocution change de façon particulièrement rapide. Ce n'est qu'avec hésitation que réapparaissent, sous forme de fragments bien sûr, non de reprises, des types sonores déjà rencontrés. La fin elle-même — une fin ouverte — n'est pas une synthèse, mais un basculement du son vers le bruit. A chaque auditeur de nouer lui-même le fil d'Ariane qui le conduira à travers cette musique : Essl attend en fait du public qu'il ne se laisse pas induire en erreur par le nouveau vocabulaire de la musique contemporaine, et qu'il soit prêt à accorder une attention maximale.

Christoph Becher, extrait du programme de la création au Konzerthaus de Vienne