Daniele Ghisi (1984)

La Fabrique des monstres ou Démesure pour mesure (2018)

music for the play by Jean-François Peyret

electronic work, Ircam
stage work

  • General information
    • Composition date: 2018
    • Video, installation (detail, author): Conception et mise en scène de Jean-François Peyret.
    • Duration: 2 h 15 mn
    • Commission: IRCAM-Centre Pompidou
    • Libretto (details, author):

      D'après Frankenstein ou le Prométhée moderne, de Mary Shelley.

Detailed formation
  • 5 speaking voices

Premiere information

  • Date: 23 January 2018
    Location:

    Suisse, Théâtre Vidy-Lausanne


    Performers:

    Jeanne Balibar, Jacques Bonnafé, Victor Lenoble, Joël Maillard, acteurs, Robin Meier, réalisation informatique musicale. 

Information on the electronics
RIM (réalisateur(s) en informatique musicale): Robin Meier
Electronic device: sons fixés sur support

Observations

Les sources : La Fabrique des monstres joue avec différentes traductions de Frankenstein ou le Prométhée moderne, quand les comédiens ne retraduisent pas eux-mêmes leur « partition ». Le spectacle se souvient aussi d’autres textes tels que notamment la Défense des droits des femmes de Mary Wollstonecraft, la mère de Mary Shellley, le poème Mont Blanc de Percy Bysshe Shelley ou La Complainte du vieux marin de Samuel Taylor Coleridge dans la traduction de Jacques Darras. La toile peinte de Nicky Rieti avec lac et reflet a bénéficié du concours involontaire des peintres fribourgeois Raymond Buchs (1877-1958) et Oswald Pilloud (1873-1946).

Program note

Tout le monde sait que Mary Shelley a eu l’idée de son roman au bord du lac Léman, un soir de juin 1816. Personne n’a oublié cette « année sans été » où le climat avait été déréglé (déjà) par l’éruption historique d’un volcan indonésien. Temps pourri à ne pas mettre un poète dehors. Byron, que les Shelley avaient rejoint au bord du lac, propose alors à ses hôtes d’écrire une histoire à se faire peur. Mary prendra la chose au sérieux, écrira son Frankenstein, profitant de l’occasion pour inventer un des rares mythes de la culture moderne. À dix-neuf ans.

Pourquoi alors ne pas imaginer une situation analogue : des comédiens se retrouvant enfermés ensemble dans un théâtre et qui décident de se raconter (ou de jouer) une histoire de spectre. Imaginons aussi qu’ils tombent sur Frankenstein, ce spectre qui hante la science moderne et inquiète toujours nos consciences. Imaginons qu’ils vont eux-mêmes hanter ce livre et découvrir qu’il est une fabrique de monstres. C’est d’abord Mary Shelley elle-même qui se demande comment elle a pu engendrer une si « hideuse créature » ; puis Victor Frankenstein expliquera comment s’est forgée sa passion fatale, son désir de percer les secrets de la nature qui le lancera dans l’aventure que l’on sait, sans qu’il ait le courage d’en assumer les conséquences. Il abandonnera horrifié sa créature sans nom. Celle-ci, enfin, dans son étrange confession à son créateur lui expliquera comment au bout du compte elle s’est faite elle-même, a dû faire par elle-même son apprentissage des premières sensations offertes par le monde jusqu’à la plus haute culture. Jusqu’au crime aussi.

Voilà qu’au cœur de ce roman on trouve une curiosité pour le cerveau humain (pas très humain ou trop humain), pour sa nature et pour ses fonctionnements, ses apprentissages : c’est une résonance de plus qu’il entretient avec notre époque qui sait bien que le seul vrai monstre est le cerveau de sapiens, et qui s’est fabriqué tout seul.

La musique dans La Fabrique des monstres

En parlant avec Daniele Ghisi qui a l’habitude de composer avec des machines et qui, comme mathématicien, crée lui-même ses algorithmes, l’idée est venue de mettre en place une machine musicale, la Machine (comme on dit la Créature), qui apprenne à faire elle-même de la musique à partir, certes, des instructions qu’elle reçoit. Mais, à mesure que cet apprentissage « tourne », la maîtrise du résultat, l’écriture si on veut, échappe au compositeur. Portrait du jeune compositeur en champion de jeu de go ?

Ce travail s’inscrit dans le contexte actuel de la recherche en informatique dominée par les big data et l’apprentissage profond (deep learning) et pourrait constituer une première réplique artistique à la toute-puissance algorithmique, au risque de s’y prendre. Victor Frankenstein sait de quoi nous parlons.

Les sons utilisés dans La Fabrique des monstres ont ainsi été l’occasion d’une commande de l’Ircam au compositeur Daniele Ghisi, qui a conçu une « machine » musicale à laquelle il a « appris » des extraits sonores de musiques ou de paroles enregistrées liées aux thématiques choisies et qu’elle interprète alors elle-même, en fonction de son apprentissage. Si, dans un premier temps, avait été envisagée une absence totale de contrôle du compositeur sur le résultat final – à la manière de Mary Shelley à qui la destinée de son roman, à travers ses multiples relectures, échappe, et de Victor Frankenstein qui ne contrôle pas ce que devient sa créature apprenante –, cette idée s’est heurtée à un principe de réalité. Finalement, Daniele a fait son choix parmi les heures et les jours de musique produite par la machine des fragments qui lui semblaient les plus intéressants et les plus pertinents, pour leur donner l’espace de se développer. Le résultat, selon lui, respecte la production de la machin  : « Quand je cueille des fleurs dans un pré pour en faire un bouquet, dit-il, les fleurs deviennent-elles miennes ? Oui et non. De même, la musique produite est-elle la mienne ou celle de la machine ? Un peu des deux. »

Jean-François Peyret

Note de programme des représentations de juin 2018 à la MC93, dans le cadre du festival ManiFeste de l'Ircam.

Documents