J'ai voulu écrire une œuvre pour le contexte de la cathédrale d'Auch, mais adaptable à celui des autres églises ou salles d'orgue dans laquelle cette pièce pourra être jouée, qui ne puisse pas seulement prendre en compte les propriétés acoustiques d'un lieu, mais aussi quelque chose de leur caractère.
Ici, à la partie interprétée par l'organiste, s'ajoute une partie de sons électroniques entièrement synthétiques, qui sont calculés à partir des caractéristiques sonores de l'orgue même, mais aussi de l'espace dans lequel il se trouve. Ainsi, avant chaque interprétation, nous devons enregistrer quelques sons de l'orgue, que l'ordinateur analyse du point de vue des notes (diapason, tempérament), de la couleur des jeux (le spectre) et de la résonance (la réverbération). Ainsi, les sons électroniques semblent provenir de l'orgue lui-même, ou plutôt agissent comme un double de cet instrument.
Cette pièce est la quatrième d'une série qui part d'une réflexion sur la métaphore musicale de la perception de la lumière, à partir de l'œuvre du cinéaste Stan Brakhage. Dans ses films les plus abstraits, Brakhage interroge la perception même de la lumière. Le cinéma inscrit (photographie) la lumière par des découpages temporels réguliers. La musique est aussi une suite d'instants qui résonnent dans un espace et qui résonnent aussi en nous.
Chartres Series s'inspire de la contemplation des vitraux de la cathédrale, qui captent, domestiquent la lumière, en un mot : l'inventent. Dans le film, de longs aplats de peinture étalés sur la pellicule ou bien des miniatures peintes reproduites à chaque image défilent, image après image, sans cohérence apparente, mais l'effet de la persistance rétinienne combinée à la mémoire immédiate fait percevoir au spectateur quelque chose qui finit par s'apparenter à des formes — peut-être pas voulues par l'artiste, elles nous apparaissent cependant.
Pour Mothlight, Brakhage avait disposé soigneusement à même la pellicule des ailes de papillons de nuit, brins d'herbes, feuilles sèches. Cet herbier est plus qu'une fragile leçon de choses : une trace de la vie passée de ces objets. Une fois le film dupliqué, il ne reste des ailes d'insectes que la matérialité sublimée de leur lumière : un état d'image-souvenir (Brakhage dans certains films comme Sirius, remembered joue presque au vidéaste amateur qui essaie de garder la présence du temps qui fuit) ; plus exactement : un souvenir dont il ne reste que des images oniriques, fuyantes dont on aurait oublié les liens.
Dans Light, remembered, pour orgue et électronique, je tente d'habiter l'espace vide de l'église en créant un espace de résonance. Selon moi, les musiques sacrées de certaines cultures, comme la musique médiévale, ont pour fonction de représenter l'espace géométrique de l'église. La sensation de plénitude recherchée dans la consonance par la justesse d'intonation des voix est en rapport direct avec une sensation d'occupation de l'espace. La musique ne vit pas seulement dans l'espace, mais avant tout par l'espace et pour l'espace. Sa résonance est aussi expiatoire, rassurante : en habitant le lieu, la musique conjure le vide de l’espace et son silence ; et en habitant le temps, la musique le définit. Un lieu-musique, comme ici celui de l'église et de son orgue, c'est donc un espace, sa lumière, son silence et son temps.
Les résonances d'un son, comme les lumières du cinéma, sont éphémères et ne vivent que par l'illusion de la construction des résonances, ou des mouvements. Un son ou une lumière lancé par une technique invisible, l'électronique, l'orgue, ou le projecteur au cinéma, reconstituent la résonance des sons ou des images, perdues ou oubliées.
"L'espace de résonance n'est pas le vide. C'est un champ de force ouvert où l'action les choses et l'espace résonnent. C'est la lutte entre créer ou ne pas créer ; c'est le monde d'une sorte de contradiction riche en changement et en suggestion. L'espace de résonance dépasse donc l'objet ou les mots ; il fait respirer aux hommes l'infini et les conduit au silence". Lee Ufan