S’abstraire de l’écoulement. Ni passé, ni futur. Ne pas tenter de pressentir, de projeter, d’appréhender.
Écarter tout suffixe : savourer le présent.
Ici, maintenant – dans l’intimité d’un gigantesque instrument, au coeur de son espace acoustique : comme chez Morton Feldman ou Giacinto Scelsi, se laisser aller au son – un son fondamental, pour lui-même, pour sa présence palpable, physique, enveloppante.
Un piano, une grosse caisse, une grande plaque métallique, un gong gigantesque : chaque instrument est augmenté, c’est-à-dire capable, en plus des sons qu’il produit habituellement, de diffuser et de faire résonner des sons électroniques – capable, de surcroit, de « jouer » des autres instruments, en injectant son propre son dans le corps résonant des autres.
Ils sont placés chacun à une extrémité de la salle, loin les uns des autres, à différentes hauteurs, pour mieux immerger, saisir, figer le public dans sa gangue de son. Le son perd sa localisation, envahit l’espace tout entier.
Ainsi plongés dans le liquide sonore, on remonte doucement à la surface, on sort ses oreilles, aux aguets, pour replonger à nouveau. Dedans-audehors, Inside-out.
De cet omniprésent sonore émerge, dans une lenteur assumée, une voix. Se dégageant graduellement de toute connotation percussive, le son ambiant se fait vocal, prosodique.
Comme un rituel primordial, une prière venue du fond de ce temps suspendu.
Jérémie Szpirglas.
Note de programme du Concert du 27 juin 2017 au Centquatre, dans le cadre du festival ManiFeste.