Volleys of Light and Shadow s’articule autour d’échanges d’énergie entre des forces contrastantes : l’acoustique et l’électronique, le visible et le non visible, le tangible et le mystérieux, l’apprivoisé et le débridé. Une forme de canon répétitif et lentement progressif naît de l’itération de gestes de l’ensemble et du son informatique spatialisé. Tandis que ces canons font apparaître un dialogue qui évolue graduellement et relativement logiquement, la structure formelle globale se concentre sur l’improbable cohésion d’hypothétiques points de rencontre. Ainsi, au fur et à mesure, ce qui stabilise entraîne le mouvement, ce qui attire l’attention se désintègre bientôt, et ce qui semble sage en apparence s’ensauvage et se libère. Ces contradictions donnent lieu à une expérience d’écoute embrumée, les objets révélés s’avérant n’être qu’ombres…
La pièce est née de mon désir de créer des « organismes sonores » qui, isolément, pourraient être assimilés à un matériau souvent désigné comme « thématique ». J’entends par là que chaque organisme comprend de multiples éléments soniques et trouve sa saveur musicale dans leurs répétitions et transformations. Ces organismes sont toujours un composite d’expressions multiples, instrumentales et électroniques, leur fusion leur conférant leur identité.
Toutefois, dans cette pièce, je considère cette idée d’organisme d’une manière bien différente de la notion traditionnelle du thème, à trois égards.
D’abord, les paramètres variés (c’est-à-dire les paramètres sur lesquels on peut jouer au cours des diverses répétitions de l’organisme) sont assez inhabituels : je m’intéresse à des altérations dans les variations d’intensité (formes dynamiques), aux formes des glissandi, à la coordination des différents éléments, aux contrastes dans les qualités spectrales des multiples sons qui composent l’organisme en question, etc. J’imagine souvent tous ces éléments reliés de telle sorte que la moindre perturbation de hauteur peut provoquer une instabilité dans la coordination de l’ensemble, qui provoque à son tour un changement dans les timbres, du plus âpre au plus soyeux. Ainsi les paramètres sont-ils considérés non pas comme indépendants mais, au contraire, comme faisant partie intégrante d’un système. Une métaphore adéquate serait celle des relations qui unissent les signaux qu’un tremblement de terre peut produire dans les différentes stations géologiques autour du monde : chacune enregistre la même source, mais le signal est filtré par les diverses couches terrestres traversées.
Ensuite, la métaphore avec les organismes vivants ne signifie pas nécessairement une fascination sans nuance pour le développement « organique » des idées, mais bien plutôt pour les interactions entre ces organismes. Je ne m’intéresse au principe d’un organisme que pour que l’auditrice ou l’auditeur puisse l’entendre interagir avec d’autres forces soniques. En réponse à des forces extérieures, un organisme peut grandir ou rétrécir dans sa portée instrumentale, il peut s’étirer ou se compresser en durée, il peut devenir plus rude ou plus doux, ses formes peuvent se rebondir ou s’aplatir. Toutefois, les instants les plus dramatiques de ma pièce sont pensés autour de l’idée de l’émergence d’éléments, soit inattendus, soit dissimulés jusque-là. Ainsi, pour poursuivre la métaphore du « point de vue », c’est parfois en changeant de perspective, qu’on peut, le plus complètement, comprendre les enjeux des objets imaginés.
Enfin, alors que j’ai souvent recours à des éléments électroniques et acoustiques dans un même geste musical, pour un même rôle spectral (je les veux très similaires en termes de perceptions, lorsqu’on ferme les yeux), je considère les expressions électroniques comme fondamentalement différentes des formules acoustiques en ce que j’ai toujours eu le sentiment d’un certain danger et d’une certaine tension cognitive, dans la juxtaposition des deux. Les gestes acoustiques me semblent toujours plus « vrais » dans le contexte d’une musique mixte – peut-être parce que les musiciens sont visibles – et je considère les interventions électroniques comme un élément perturbateur, venu de l’extérieur, acteur suspect et invisible. Ce manteau d’anonymat donne au compositeur une grande puissance : on peut entendre l’électronique comme apparentée à l’activité acoustique, mais elle reste toujours, à un certain degré, détachée de la réalité. La distance devient, pour moi, une métaphore de l’imagination.
Benjamin Hackbarth, traduction de Jérémie Szpirglas.