À l’instant même où l’on se retrouve face à un orchestre symphonique, à son architecture grandiose, à sa taille imposante, tant physique par son implantation scénique qu’acoustique par son prodigieux potentiel sonore, la question du monumental s’impose d’elle-même.
L’orchestre, cette gigantesque formation aux proportions démesurées, peut, dans un certain sens, être perçu comme un monument en soi. Il est la mémoire, le lieu où peuvent revivre au présent des œuvres du passé - ces œuvres qui, avec le temps, ont établi une ample littérature, engendré des codes propres à chaque époque et façonné ce son sublime, ce son symphonique si caractéristique, si incontournable. Les immenses « machoires sonores » de cette fabuleuse et phénoménale « usine à sons » sont pour l’imaginaire à la fois sources fertiles et pièges parfois inévitables.
Monumenta est, dans sa conception, pensée et traitée par voix individuelles ; ceci impose une écriture à quatre-vingt-quinze parties réelles, donnant nécessairement à la partition une dimension monumentale. Cette notation du geste instrumental par strates, cette articulation du son à l’échelle « microtimbrique » a pour effet la possibilité d’un contrôle précis du geste orchestral à l’échelle « macrotimbrique ». La grande densité des événements composant l’espace graphique, donc visuel, est corrélée à une forte saturation de la texture sonore, à une écriture massive où les flux se mêlent et s’entrechoquent, où les énergies se superposent et se renforcent. De gigantesques masses « bruiteuses », colorées (harmonie-bruit) s’étirent, se déploient, glissent et se métamorphosent ; les timbres explosent et se démultiplient simultanément au travers d’une sur-activité sonore. Monumenta est le point de départ d’un long cycle pour orchestre où la durée sera elle aussi à prendre sous l’angle de la monumentalité.
Monumenta est dédiée à Joseph, mon fils.