« Paraphrase, de Pedro Amaral, paraphrase en effet une œuvre antérieure, d'une part, et sa propre matière, d'autre part — ses phrases, ses thèmes. Le solo de trompette, superbement jouée, mena l'ensemble à une réinvention sans limites. » Anne Ozorio,
Seen and Heard international , Londres, février 2006.
D'un point de vue linguistique, « paraphrase » signifie une relecture ou traduction interprétative d'un texte, en guise d'élucidation ou commentaire qui, souvent, implique le développement des idées originelles. Le contenu du texte premier est soumis a une analyse critique, et sa paraphrase, mesurée ou extravagante, amplifie sa substance tout en la transcrivant à la lumière d'un certain point de vue — parfois latent dans l'originel, parfois tout à fait inattendu dans son interprétation.
Je crois que dans Paraphrase [ Densités II], j'ai fini par intégrer la plupart des possibilités de paraphrase par rapport à une pièce initiale, Densités, composée en 2005 pour le Festival de Witten. C'est une pièce que j'ai dédiée à Pierre Boulez lors de son quatre-vingtième anniversaire, et dont la première fut donnée par l'Ensemble intercontemporain, au mois d'avril de cette année-là.
Pas toutes les parties du « texte » originel ont été paraphrasées au sein de cette deuxième pièce. De même, naturellement, beaucoup d'éléments de Paraphrase sont tout à fait nouveaux ou ne figuraient dans Densités que d'une manière embryonnaire ou en tant que « sens lattent ». Négliger certains aspects du texte initial a signifié, dans certains cas, les éliminer du contexte de la paraphrase ; dans d'autres, à les transcrire dans leur sens premier, tout simplement, sans plus d'explications ou de développements. Mais une grande partie de Densités a été réécrite en dilatant la transcription immédiate du sens, en rajoutant des commentaires, de plus ou moins amples « parenthèses » et « notes en bas de page ». Paradoxalement, le parcours formel est devenu plus net dans cette deuxième pièce, avec deux grandes parties plus ou moins complémentaires (la première exploitant une écriture d'ensemble, la dernière se concentrant sur une ligne soliste de trompette, constamment commentée par le piano en tant que soliste secondaire), et un moment central, intermédiaire, avec un solo de piano étendu, virtuose.
Il est intéressant de remarquer que l'idée de paraphrase fait partie de la genèse même de la pièce originelle. Dans les sections finales de cette pièce, le solo de trompette est construit selon une ligne qui s'analyse elle-même, rajoutant de plus en plus de notes au parcours entre ses cinq premières notes, puis treize, puis vingt et une..., retournant à chaque fois au début et s'amplifiant en permanence — lecture sur une lecture, sur une lecture... De façon intermittente, ce solo est paraphrasé par des commentaires et développements du piano, comme une sorte d'ombre. Et toute la première section de l'oeuvre n'est qu'une relecture, note à note, des lignes du solo final de la trompette, traduisant ses intervalles en durées, étendant et proliférant abondamment le passage d'une note à l'autre, dans le temps, dans le champ harmonique et dans l'espace timbrique.
En ce sens, dans un titre à la manière de Borges, sans cacher l'ironie pour l'extravagance du processus, Densités II aurait pu s'appeler « Paraphrase sur une paraphrase » ! Ce qui résumerait en substance sa genèse, sans rien dévoiler de son contenu.
Pedro Amaral.