<p>L'opus sectile est une technique de mosaïque de l'Antiquité romaine tardive qui consistait à réemployer des fragments usagés de marbre pour en faire des sols à motifs géométriques. Dans cette technique, le matériau est utilisé de manière brute, voire grossière, pour être « rêvé » autre, quoique sa nature de rebut persiste fortement dans cet ultime détournement ornemental. Chaque fragment peut être vu simultanément comme éclat d'une totalité perdue, et pièce d'une recomposition de circonstance. Dans <em>Contra me</em> (« devant moi »), de même, il n'a été recueilli que d'infimes fragments du psaume L (attribué à David, lorsque le prophète Nathan vient vers lui après qu'il se soit uni à Bethsabée) dont la parole <em>miserere</em> est l'incipit : de deux à six mots par verset, dans l'ordre où ils apparaissent. L'unité formelle des vingt versets est préservée, chacun devenant un fragment de quelques secondes jointoyé à l'autre par du silence et formant ainsi opus <em>sectile</em>. Ce <em>miserere</em> chuchoté veut exprimer l'essence du texte et sa fonction dans la liturgie : le regret, le sentiment de la faute, la soif de purification. Le verset 19 évoque les murs détruits de Jérusalem, sujet des lamentations de Jérémie. Cependant, les éléments prélevés, démembrés du texte peuvent composer une subdivision du sens dont le motus commun serait le véhicule de la parole et l'objet de la purification par les parties nommées de l'être et du corps (visage, bouche, lèvres, os, cœur) : f<em>acie tua, lingua mea, labia mea, ossa humiliata, cor mundum, cor contritum</em>. La partie instrumentale dans <em>Contra me</em> n'est que signe, à peine lien, sur la page du silence-<em>miserere</em>. Les instruments, abandonnant toute rhétorique, toute virtuosité, tout artifice, ne peuvent s'avancer à découvert, cantonnés au dessin du sens proféré. Cette œuvre a été commandée par l'ensemble XVIII-21 Musique des Lumières afin d'être insérée dans un programme consacré aux <em>lamentations du prophète Jérémie</em>, mêlant la musique de Couperin à des liturgies juives, des chants arabes et des lectures bibliques. </p><p><em>Gérard Pesson.</em><br /></p>