Elizabeth Chojnacka a fait du clavecin moderne une ressource significative de la musique d'aujourd'hui : elle est l'une de ces rares interprètes qui suscitent et inspirent la création contemporaine. Restant proche du son du clavecin, l’œuvre que j’ai écrite pour elle et qui lui est dédiée tire parti du traitement et de la synthèse par ordinateur pour amplifier son jeu et faire voyager la musique dans l'espace :
Pentacle (2006), commande du Ministère de la Culture pour le GMEA, centre de création musicale d’Albi-Tarn, est une œuvre mixte faisant dialoguer le clavecin moderne avec l’ordinateur.
Pentacle, d’une durée totale de 15 mn, s’articule en cinq sections : I, Portique, 2mn10s ; II, Accords, 2mn ; III, Volutes, 3mn ; IV Résonances, 5mn ; V, Vers le chaos, 2mn50s. Le titre évoque l’étoile à cinq branches, mais le terme Pentacle a bien d’autres connotations ésotériques, de Sumer à Pythagore et au grand œuvre médiéval. Il évoque en particulier l’inspiration et l’énergie féminine, illustrée si brillamment par Elizabeth Chojnacka.
L’interprète dialogue avec des sons numériques dont les timbres sont généralement apparentés à ceux du clavecin moderne – sons issus du clavecin construit par Anthony Sidey pour Elizabeth Chojnacka ou de la synthèse numérique, et traités par ordinateur à l’aide des logiciels Peak Max ou MaxMSP. Il s’agit moins d’un traitement sonore que d’un développement compositionnel, qui produit échos, arpèges, transpositions et proliférations. Une spatialisation sur huit canaux (mise en œuvre à l’aide du logiciel Holophon, réalisé au Groupe de Musique Expérimentale de Marseille par Laurent Pottier et mis en œuvre à Albi grâce à Charles Bascou et Benjamin Maumus) : le logiciel permet un contrôle de l’espace qui s’apparente à une écriture. La spatialisation fait sortir de la scène les sons de l’ordinateur, de façon différente pour les cinq sections.
Les accords arpégés de la première section, diffusés de la scène, jouent le rôle d’un portique ou d’un propylée. La seconde section fait entendre des accords plaqués de plus en plus denses ; les accords accentués déclenchant l’investissement par l’ordinateur de différentes régions de la salle (en préservant la symétrie gauche-droite). La troisième section présente des volutes variées autour de notes polaires : lorsque ces volutes échappent à l’accord tempéré, les sons se dispersent, provenant de divers points ; puis des traits rapides amorcent une rotation autour du public. Dans la quatrième section, la plus longue, le son s’aère : le clavecin répond en pointillé à des résonances et des frottements furtifs venant de la scène. La cinquième section est une descente implacable qui se perd dans des ténèbres chaotiques. Cette descente se voit bientôt accompagnée d’une giration plus ou moins rapide, rebroussant chemin ici et là – deux sons tournant à des vitesses différentes s’écartent pour arriver à des positions diamétralement opposées. Vers la fin, les gammes descendantes tournent au chaos : le mouvement des sons devient aléatoire, puis il diffuse partout, pour se recentrer à la fin sur la scène autour d’une résonance du clavecin.
Jean-Claude Risset.