J'ai composé cette œuvre, commandée par l'association Musique Nouvelle en Liberté, pendant ma résidence à Edenkoben, en Allemagne, entre août et septembre 1999. Bien que reprenant des procédés formels issus du Lied, La Morte Meditata s'écarte de ce modèle par sa longue introduction instrumentale, véritable condensé du matériau qui sera en partie développé par la suite, mais aussi par l'entrée de la voix, simulant une agonie de la chanteuse sur la première syllabe du texte. La musique prend alors un caractère scénique, une dimension représentée, qui tend plus vers l'opéra que vers la mélodie. Ce n'est pas l'imaginaire de l'auditeur qui est sollicité ici : l'image sonore est explicite, et place l'écoute dans une dimension théâtrale extrêmement sombre, pesante.
Mais l'ambiguïté sur le genre de l'œuvre qui est instaurée dans ce début est rapidement dissipée. Les poèmes ne sont plus prétexte à action. Ils sont plutôt le point de départ à des commentaires musicaux incessants, quasi systématiques après chaque vers. La partie vocale naît donc grâce à une représentation concrète de la mort, mais après cette section, c'est la logique poétique qui occupe le premier plan. Le cycle d'Ungaretti juxtapose six poèmes de longueur inégale. Si le deuxième et le troisième d'entre eux peuvent être regroupés, dans la mesure où ils apparaissent comme deux états différents d'un même propos, les autres textes sont véritablement indépendants les uns des autres. Pourtant, quelques mots (ombra, morte) sont récurrents à travers le cycle. J'ai décidé d'assigner à chacun de ces termes une couleur musicale particulière, aisément identifiable à l'écoute, qui structure l'ensemble de l'œuvre par ses retours. Il s'agissait pour moi de créer des points de repère forts qui, en unissant la forme, en consolidant la structure, me permettaient ensuite de faire évoluer le discours en toute liberté, en suivant mon intuition musico-littéraire. Si la pièce débute par une introduction rassemblant de nombreuses idées musicales différentes, elle s'achève dans une logique de dépouillement. Seules des bribes issues des sections précédentes persistent, et conduisent vers un glas final.
À l'intérieur de ce cadre directionnel conduisant de la densité vers le recueillement, les six poèmes sont fondés sur des éléments musicaux contrastés, créant dans leur juxtaposition une forme rhapsodique. C'est sûrement dans le premier d'entre eux que mon écriture est la plus liée au mot-même. La texture est ici extrêmement mobile, les contrastes s'inscrivant dans une certaine continuité de débit.
Dans le Canto secondo, le propos musical est extrêmement différent, dans la mesure où c'est un cri stylisé au piano qui conduit le discours, sur un accord tenu aux autres instruments. La deuxième partie de cette mélodie introduit un motif descendant, caractéristique du mot morte, qui articulera la grande forme de l'œuvre.
Dans le Canto terzo, ces éléments sont présentés dans un état simplifié, essentiel, n'annonçant en rien le scherzo aérien et hétérogène de la mélodie suivante.
Ensuite, le Canto quinto privilégie le registre grave de l'ensemble (emploi de trois clarinettes graves) s'opposant à la voix de mezzo-soprano, alors que dans la dernière mélodie, c'est bien la fusion entre les timbres que j'ai recherchée, les instruments ornementant la partie vocale.
La nomenclature instrumentale, issue de la Suite opus 29 de Schoenberg, m'a permis de travailler sur des couleurs sonores très typées, notamment par l'emploi de nombreuses clarinettes différentes. L'orchestration joue donc un rôle formel, car certaines mélodies sont caractérisées par un timbre général, voire par un espace acoustique précis. Je voudrais enfin évoquer un aspect capital dans la genèse de l'œuvre, à savoir que la motivation première qui m'a poussé à composer La Morte Meditata était la perspective de travailler avec Sylvia Marini et Laurent Cuniot, les dédicataires de l'œuvre, ainsi qu'avec mes amis de l'ensemble TM+. J'ai écrit la pièce en sachant précisément qui en seraient les interprètes, et leur image a hanté mon esprit durant le travail. Qu'ils soient remerciés pour leur investissement et pour l'inspiration qu'ils ont faite jaillir chez moi.
Bruno Mantovani, éditions Lemoine.