Mauro Lanza (1975)

Vesperbild (2006 -2007)

for ensemble, toy instruments and electronics

electronic work, Ircam

  • General information
    • Composition date: 2006 - 2007
    • Duration: 15 mn
    • Publisher: Ricordi
    • Commission: musikFabrik et Ircam - Centre Pompidou

Premiere information

  • Date: 28 May 2007
    Location:

    Allemagne, Cologne, Studio de la WDR


    Performers:

    Ulrich Löffler : Toy Piano, ensemble musikFabrik, direction : Etienne Siebens.

Information on the electronics
RIM (réalisateur(s) en informatique musicale): Olivier Pasquet
Electronic device: dispositif électronique non spécifié

Observations

Écouter l'enregistrement du concert Agora du 9 juin 2007 à la Maison de Radio France : https://medias.ircam.fr/x146ca6_vesperbild-mauro-lanza

Program note

Vesperbild, pour ensemble, instruments-jouets et électronique, est l’épilogue instrumental du cycle vocal Nessun suono d’acqua, auquel je travaille depuis 1998. L’idée de ce projet remonte à ma rencontre avec la poésie d’Amelia Rosselli, une des figures les plus importantes de la littérature italienne du second après-guerre. Fille d’un exilé antifasciste, Amelia Rosselli, qui a grandi en France et en Angleterre, est arrivée en Italie en 1948. Ses premières « tentatives » poétiques dans la langue de son pays d’origine sont contenues dans un recueil judicieusement intitulé Prime prose italiane [Premières proses italiennes] : une série de sentences concises d’une simplicité oraculaire, une écriture basée sur le lapsus et le calembour.

Les quatre numéros « chantés » de Nessun suono d’acqua [Aucun bruit d’eau] correspondent à une sélection, faite selon un critère thématique, de quatre poèmes dudit recueil : mon choix s’est arrêté sur des fragments présentant des analogies avec certains des grands leitmotives qui traversent The Waste Land de T.S. Eliot : la mort rituelle du dieu-roi, la mort par noyade comme transfiguration, la fertilité et la résurrection. L’évocation de The Waste Land à l’intérieur du cycle n’est pas explicite : l’unique citation textuelle, par ailleurs traduite en italien, est celle qui donne son titre à l’ouvrage (« And the dead tree gives no shelter, the cricket no relief, And the dry stone no sound of water. »). Sa fonction consiste principalement à filtrer et à souligner quelques thèmes récurrents dans les Prime prose italiane.

Les quatre courts fragments issus de ce tamisage nous décrivent des Pietà baroques vues à travers le regard de fillettes malicieuses, ils nous parlent de tombes aqueuses, d’une énigmatique germination d’herbe noire, et entonnent à la fin l’élégie funèbre pour un mystérieux fleuve-cadavre, victime d’une auto-noyade solipsiste, objet de deuil grotesque figé dans une posture canine. Le tout est confié à un soprano soliste et à un ensemble instrumental « classique » assorti d’une panoplie d’instruments pour enfants, ainsi qu’à une électronique de synthèse qui cherche à imiter les uns et les autres.

Le titre Vesperbild se réfère à la complainte ambiguë du fleuve et, surtout, à l’instantané ironique d’une Pietà baroque, qui ouvre le cycle vocal. Le terme allemand évoque des atmosphères vespérales, le deuil intime et sobre qu’on mène à la tombée de la nuit, lorsque la foule a quitté la scène. Il comporte également une claire allusion aux vêpres, dans leur acception d’heure canonique de la prière du soir.

Vesperbild n’est toutefois crépusculaire et méditatif qu’en partie : construit sur un jeu incantatoire de répétitions déphasées dont le résultat se fait de plus en plus imprévisible, le morceau commence peu avant la clameur de la rush-hour pour finir par une prolifération d’éléments toujours plus étrangers aux prémices. L’insolite lamentation funèbre est interprétée successivement par de crépitantes percussions de synthèse, par des marionnettes qui piaillent, par des instruments au timbre dénaturé et par les mugissements tristes de faux bovins : comme s’il s’agissait d’un thrène de poupée.

L’option de terminer Nessun suono d’acqua par une pièce instrumentale a pour moi, en outre, une valeur autoréférentielle : mon opus n° 1, une brève suite vocale formée de quatre proses poétiques, s’achevait également par un épilogue sans voix, intitulé Notturno. Là de même, le titre n’évoquait pas seulement le genre musical bien connu, mais aussi la prière canoniale des complies (le cantus firmus sur lequel se base ce liederzyklus est un chant dépouillé, à deux voix, emprunté à l’office des heures de la nuit de Noël). J’avais alors affaire également à la parole vierge, libre de tout code et inquiétante par sa simplicité même (le texte, en l’occurrence, consistait en des poésies succintes que ma fiancée, à l’âge de quatre ans environ, avait « dictées » à sa mère).

Mauro Lanza.