James Wood (1953)

Mountain Language (1998)

for alphorn, cow bells, midi keyboard and electronics

electronic work, Ircam

  • General information
    • Composition date: 1998
    • Duration: 25 mn
    • Publisher: édition du compositeur
    • Commission: Ircam-Centre Pompidou
Detailed formation
  • 1 Alphorn, 1 cowbell, 1 electronic/MIDI keyboard/synthesizer

Premiere information

  • Date: 20 June 1998
    Location:

    Espace de projection de l'Ircam, Paris


    Performers:

    Benny Sluchin : cor des Alpes, Vincent Bauer : percussions, James Wood : clavier midi, direction : James Wood.

Information on the electronics
Studio information: Ircam
RIM (réalisateur(s) en informatique musicale): Carl Faia
Electronic device: dispositif électronique non spécifié

Program note

J'ai toujours éprouvé un profond respect vis-à-vis des montagnes. La sensation de ne faire qu'un avec l'univers et les forces de la création, la conscience de l'espace, la pureté de l'air et la force inexorable de tous les éléments peuvent souvent donner naissance à un sentiment d'accablement. Cependant, c'est un sens aigu de l'identité qui grandit aussi, en parallèle à cette sensation de vastitude — chaque oiseau, chaque animal, chaque pierre et chaque cours d'eau possède un esprit qui lui est propre, ainsi qu'une place particulière et bien à lui au sein du cosmos.

C'est en cherchant à explorer ces phénomènes dans Mountain Language que j'ai décidé de baser autant d'éléments que possible sur des modèles naturels, car ceux-ci renferment en eux tous les éléments relatifs au rythme, à la mélodie, à l'harmonie, à l'intensité, à la texture et à la forme, autant d'éléments particulièrement cruciaux de la spatialisation et, bien sûr, du son lui-même.

Tous les sons de Mountain Language dérivent de sonorités qui trouvent leur origine dans les montagnes, et qui ont été conçues pour transmettre des signaux sur des distances importantes — cloches de vache, cloches d'église, cor des Alpes, ainsi que des sonorités relatives aux éléments naturels comme le vent et la pluie. Ces sonorités sont reproduites par deux interprètes en direct (cor des Alpes et cloches de vache), deux échantillonneurs (déclenchés par les cloches de vache elles-mêmes), ainsi qu'un ordinateur, piloté à partir d'un clavier par un interprète chargé de la direction et de la coordination de l'ensemble. Le « langage » auquel le titre fait allusion ne renvoie donc plus simplement au dialogue visible entre les interprètes qui jouent en direct, il fait bien plus référence au réseau complexe de signaux, de réponses, d'échos, et aux autres interactions d'ordre dramatique entre les musiciens en direct et la multitude de sons invisibles et spatialisés.

Au tout début de mon travail, dès que j'ai commencé à m'intéresser au langage harmonique devant servir de base à la pièce, j'ai immédiatement été confronté au fait que le cor des Alpes, bien qu'étant un instrument magnifique, est plus ou moins limité aux douze premiers partiels de l'échelle harmonique d'une seule fondamentale (le fa). Intégrant alors cette limitation, j'ai fait reposer la structure harmonique de Mountain Language sur des combinaisons variées du spectre des trois principales sources sonores (cor des Alpes, cloche de vache, cloche d'église), chaque spectre étant fondé sur une fondamentale de fa et contenant presque soixante-dix partiels. Etant donné que chacun de ces spectres est totalement différent des autres, il fut possible de construire un langage harmonique d'une grande richesse et d'une grande souplesse, sans qu'il soit fait usage de la moindre transposition en dehors de la transposition à l'octave.

Les modèles mélodiques utilisés dans Mountain Language ont pour source des chants d'oiseaux. En analysant les données de plus d'une centaine de chants d'oiseaux sur le plan de la mélodie, du rythme et de l'intensité, il me fut possible d'appliquer ces données à la fois aux sons et au schéma harmonique précédemment décrits. Une fois les éléments d'information mélodique transférés vers un spectre (ou une combinaison de spectres) précis, les mélodies peuvent alors être transposées «degré par degré» de façon à toujours pouvoir articuler les hauteurs au sein de la même harmonie de base. Elles peuvent aussi, bien sûr, être accélérées ou ralenties pour répondre aux besoins de contextes musicaux différents.

Les exemples les plus évidents — et les plus littéraux — de modèles de chant d'oiseau peuvent être entendus dans les passages étendus déclenchés par les cloches de vache, passages dans lesquels les fragments de chant d'oiseau servent d'ornementation hautement élaborée aux cloches de vache. Les passages donnent à entendre non seulement la mélodie et le détail rythmique bien connus du chant d'oiseau, mais également un jeu extraordinairement sophistiqué d'intensités ou de dynamiques.

Les modèles servent également à la constitution de l'ensemble du matériau relatif au cor des Alpes. En prenant un petit fragment (ne serait-ce que deux ou trois notes) de chant d'oiseau, en le ralentissant, en l'appliquant au spectre du cor des Alpes et en le transposant ensuite en lui faisant descendre les degrés de ce spectre, on obtient un chant qui commence à ressembler à l'appel typique d'un cor alpin. C'est grâce à cette méthode que les appels de cor entendus au début, par exemple, peuvent sonner comme des appels de cor archétypaux tandis qu'ils remontent le spectre et deviennent de plus en plus longs et rapides, puis s'avérer graduellement par la suite être des fragments de chant d'oiseau. Tout le matériau mélodique est de la sorte unifié par un modèle commun et est susceptible de fluctuer vers le haut et le bas du registre, sans qu'il soit techniquement fait appel à une « transposition ».

Un procédé similaire est utilisé pour réaliser les modèles de contour, de texture et d'intensité pour le vent et la pluie. Dans le cas du vent, ce procédé a en fait pour résultat de créer une sorte de harpe éolienne (que l'on peut entendre, par exemple, peu après le début, en même temps que le son même de vent qui préside à sa création). Dans un autre passage, les textures de la pluie sont utilisées pour générer une transformation de la pluie en des textures analogues au chant d'oiseau.

La modélisation spatiale de Mountain Language a été effectuée sur un emplacement géographique regroupant quatre-vingt-neuf pics surplombant un point central de référence, le village de Ishgl dans la vallée de Paznaun au Tyrol. Ces quatre-vingt-neuf points fournissent des « plates-formes » au discours polyphonique principal de « réponses » et d'« échos » contenu dans l'œuvre, ainsi qu'aux nombreuses sonorités liées aux éléments naturels. À ces quatre-vingt-neuf pics viennent s'ajouter trois autres sites importants répartis sur la ligne de la vallée : les églises de trois villages voisins, celle de Ishgl au centre, et celles de Kappl et Galtür, placées sur des périmètres opposés du site.

La forme de Mountain Language suit la progression d'un cycle d'une journée, et l'on pourrait approximativement la décrire comme suit : nuit – aurore – cloches des églises annonçant la messe matinale – chorus de l'aurore – matin – pluie fine se tranformant finalement en grosse averse au cours de l'après-midi – intense activité en fin d'après-midi – chorus du soir – crépuscule – cloches des églises appelant à la prière du soir – coucher du soleil – nuit.

James Wood, programme du concert de l'Académie d'été, Ircam, 20 juin 1998.