Loin d'un opéra, mais déjà plus une musique de concert – pas uniquement, en tout cas – Virus utilise la dramaturgie comme donnée essentielle de sa composition ; dramaturgie non pas comme conduite ou illustration d'une histoire – il n'y en a pas à proprement parler ici, ou alors trop – mais comme conduite musicale. Dès lors les choix des différentes matières sonores, leurs juxtapositions ou oppositions se font bien plus en fonction de cette donnée-là que, disons, de l'harmonie, de la conduite des voix, ou...
L'essentiel du mouvement est ici vu comme passage. Non pas le passage comme mouvement – et pas plus comme lieu – mais bien comme un entre-deux volontaire ; non pas un rattachement de deux choses ou états mais plutôt une autre alternative, une position se défiant des autres. Ou la création d'« ombres » musicales – comment les chanteuses, les instruments, sont entourés de doubles infidèles, créations du souvenir – électronique – ou du passage d'une matière sonore dans une autre (et déjà les titres de travail de cette pièce étaient « Je est une autre » ou « You are not I »). Et lorsqu'enfin on se sera débarrassé de ces ombres, après passage à travers le miroir, après l'acceptation ou la destruction de son autre soi-même, ce ne sera pas pour trouver le calme mais le vide. Un « Arrêt sur passage », le moment où ce n'est ni encore l'un ni plus l'autre. Et là encore la dramaturgie, une mise en situation plus qu'en scène – et entre ces doubles, une démarcation, travail de la lumière, véritable instrument, donnant à entendre ce qui est silencieux, ou alors disant autre chose, encore. Deux zones, de surface inégale, reflets dans un miroir infidèle, que les deux femmes – ou deux fois la même – s'efforceront de rattacher, alors que seul le cri instrumental en réussira la traversée, avant une immobilité forcée, « ancrée ». Des parcours immobiles, avec comme seul lieu du dehors, l'ascension, l'élevation, les faux échos de pensées et les semblants de reminiscences des sons électroniques. Dans cette apparente immobilité, un étirement temporel qui donne à voir les plus subtils changements, les plus petits gestes, une palette de différences, non plus comme un devenir mais foisonnement du même. Virus, ou comment une note peut « enfler », par des multiplications d'elle-même, toutes semblant identiques mais pourtant légèrement autres, jusqu'à devenir une masse grouillante.
L'histoire ? Celle de deux sœurs ne se retrouvant plus ou trop, le passage du miroir et le renversement de la folie, des traces ou échos de Paul Bowles, Kathy Acker, Courtney Love, de Arno Schmidt, John Cassavetes, Sara Driver...... Mais l'important n'est vraiment pas là.
Kasper T. Toeplitz, programme du concert de la création.