Le texte de la pièce a été emprunté au drame historique Verkehrte Welt (Le Monde à l'envers) de Ludwig Tieck (1798). Il s'agit de la première de cinq musiques de scène, paraphrasées et décrites par Tieck, portant dans l'original le titre Symphonie et qui reprend en somme la fonction d'ouverture.
Le texte de Tieck se divise en dix sections, pourvues de titres comme Andante en Ré majeur, Crescendo, Violino primo solo ou le paradoxal Pizzicato avec accompagnement de violons, et que ma propre musique suit de façon à la fois exacte et distante.
Les textes de Tieck illustrent d'une part leurs titres par le timbre, le rythme verbal, la musicalité de la langue, établissant même une logique musicale de leur succession, et, d'autre part, parlent une langue propre dont le contenu est lié au domaine musical en ce qu'il traite des parentés entre la musique et la langue, mais qui aborde également des sujets indépendants.
Ce texte, qui a donc doublement partie liée avec la musique, se trouve confronté à une contre-musique tout aussi intriquée, puisqu'elle n'est pas un simple « accompagnement », mais doit elle-même commencer à parler – la musique (autre côté de cette médaille) commence à dialoguer avec le texte instaurant un éclairage mutuel.
L'élément théâtral n'est pas ici extériorisé, au contraire ; « le théâtre représente un théâtre » signifie que la récitante est elle-même, et non quelque Pierrot par exemple – et les musiciens aussi sont simplement musiciens. En somme, il y aurait là tout d'abord une démystification du théâtre et de son aura, assez proche de l'idée d'un « théâtre épique » à la Brecht (comme au matin, le premier regard dans le miroir enlève aussitôt la chaleur accumulée du lit) – le théâtre est (seulement) théâtre (et donc n'en n'est plus) ; rien qui rappelle les roches escarpées d'un romantisme sauvage ou la transfiguration attique d'olivaies sous le soleil.
Et pourtant : « le rideau se lève » (tout de même), et même un théâtre sans décors ou jeux de rôles (« un théâtre intérieur » ?) connaît encore le charme magique, non plus l'extase, au moment de ce regard dans le miroir, ou du jeu de la pensée mis en œuvre – fidèle en cela à Brecht : « Penser est l'un des plus grands plaisirs de l'homme ».
Ainsi donc, la récitante et les musiciens parlent et jouent à propos de ce qui ailleurs empêche le jeu théâtral : directement – à propos de leur propre situation, de celle du public. Et peut-être trouvera-t-on à ce désenchantement un charme nouveau, sans ces illusions troublantes qui ne font que brouiller le jeu.
Johannes Schöllhorn, programme du festival « Voix Nouvelles », abbaye de Royaumont, septembre 1989.