« But release me from my bands
With the help of your good hands:
Gentle breath of yours my sails
Must fill, or else my project fails,
Which was to please. »
« Affranchissez-moi de mes liens,
Par le secours de vos mains bienfaisantes.
Il faut que votre souffle favorable
Enfle mes voiles, ou mon projet échoue :
Il était de vous plaire. »
Épilogue dit par Prospero de The Tempest de William Shakespeare
Avec cet épilogue adressé au public, l’acteur qui joue Prospero dans The Tempest de William Shakespeare souligne le piège dans lequel la mécanique du théâtre l’a enfermé, et dont seuls les applaudissements du public pourront le libérer. De même, dans We must, le contre- bassiste est prisonnier du dispositif scénique sur lequel il se produit et qui était une contrainte première lors de la commande de la pièce. Plus largement, le compositeur Sebastian Rivas lui-même se voit aujourd’hui prisonnier d’un dispositif musical qu’il aspire depuis quelques années à élargir à d’autres médias (théâtre, danse…) dans une démarche résolument pluridisciplinaire qui trouve ici l’une de ses expressions. La pièce fait donc appel autant à des régimes compositionnels qu’à des régimes performatifs, ouvrant la porte à des temporalités plus lâches que celles d’une partition strictement codée. La démarche d’écriture est ici beaucoup plus théâtrale que musicale: le texte conduit plus qu’il ne détermine la performance. Retravaillé au plateau par le compositeur et son interprète, il porte le corps de ce dernier sur la scène et dans ses interac- tions avec le reste du dispositif, scénique ou élec- troacoustique en temps réel, dans une vision foucaldienne du concept de « dispositif ».
Le titre de l’œuvre lui-même fait référence à ce dispositif, conçu et réalisé par Olivier Defrocourt : un dispositif qui relève de l’installation, avec trois plateformes réparties dans l’espace et équipées chacune de quatre haut-parleurs, sur lesquelles sont posées trois contrebasses différentes. Chacune de ces plateformes est munie de son propre éclairage, par le bas. Dénué d’éclairage zénithal, le dispositif exige une écriture des lumières, en articulation avec le discours théâtro-musical, évoquant pour Sebastian Rivas le poème de Bukowski qui dit :
“we must bring
our own light
to the
darkness
nobody is going
to do it
for us”
“il nous faut
sortir nous-même
des ténèbres
personne ne le
fera
pour nous.”
Prolongeant la réflexion de Prospero, les processus compositionnels à l’œuvre dans We must jouent sur le principe de la séparation. La pièce s’ouvre sur la vision d’un rapport excessivement charnel de l’instrumentiste à son instrument, notamment grâce à une exploration de l’extrême aigu, qui oblige le contrebassiste à « embrasser » sa contrebasse. De là, chaque geste musical ou théâtral nous éloignera de cette fusion: irruption de la voix, abandon de l’instrument, dispute de l’interprète et de son double, passage d’une plateforme à une autre, évolution de la diffusion sonore de l’électronique, d’abord fondu au son de la contrebasse puis envahissant peu à peu tout l’espace, dissociation spatiale de la diffusion des traitements vocaux et instrumentaux – une séparation poussée jusqu’à l’éclatement effectif de tous les éléments constitutifs de la performance.