Une sonorité âpre, une unique couleur instrumentale, l'équilibre délicat de trois voix — dont l'austérité radicale n'est plus un handicap au sein d'une harmonie non traditionnelle — joints à des modes de jeu variés, font du trio à cordes une formule qui m'apparait esthétiquement et techniquement toujours actuelle.
Claudy Malherbe
Langue de syntaxes plutôt que de mots, modes d'échelles plutôt que de hauteurs, scintillations d'un flux inégalement contraint aux strates obliques d'étincelles plutôt que morcellement obstiné du temps, diagonales de réminiscences chroniques qui sédimentent la complexité plutôt que résistance thématique, discipline dérivée d'une hiérarchie des langages plutôt qu'harmonie d'anathèmes hiératiques... « Plus tard, la licence d'ajourer des chemins d'absence emplis de nacre où déposer des grains... »
Austère, la forme du trio ne pardonne pas l'anecdote . Abstraite, elle n'a pas d'autre clef qu'une oreille tendue. L'intromission des modes de jeu nouveaux n'est faite qu'au prix de la construction d'un champ homogène où, ni exclus ni privilégiés, ils viennent enrichir la palette des timbres, des nuances et des hauteurs sans dégrader la nécessité formelle.
« Ce trio est un lieu clos où s'est risquée l'expérience d'une écriture qui ne pose pas un système à côté d'un système plus ancien, mais enserre la tradition d'une manière plus générale où la contrainte n'est pas de l'ordre du simulacre ou de la dissemblance. »
Neuf séquences se disposent en deux mouvements contraires imbriqués :
Un accéléré constitué des parties 1, 2, 4, 7 et 8 (Lent, Un peu lent, Modéré, Vif, Très vite), un ralenti formé des numéros 3, 5, 6 et 9 (Vif, Un peu lent, Lent, Très lent).
Neuf sections disent, en les mélant, deux temps inversés :
Chacune est caractérisée par une situation musicale particulière : la première un tissage incertain de lignes aux rythmes irréguliers hachées par des tremoli, la seconde un Ré unique progressivement dénoué en une polyphonie à six voix, la troisième la désagrégation d'un unisson rythmique périodique et sa reconstitution plusieurs fois tentée, etc.
Des catégories anciennes telles la consonance ou le thématisme, que l'on ne cherche à masquer pas plus qu'à susciter, deviennent des formes particulières engendrées par une algèbre d'opérateurs musicaux qu'un déroulement propose en instants singuliers.
Articulés par les perturbations nées de leur mélange, fuyant dans des domaines ordonnés de hauteurs, de durées et de modes de jeux, des flux construisent le discours. Un tel déterminisme fluide règle le devenir dans le temps de l'écriture, chaque instant se risquant à déjouer le précédent où à bifurquer en des canaux inédits.
A ce jeu des champs esthétiques multiples sont traversés — des contours familiers sont voilés par une intonation micro-tonale — gauchis par des rythmes inégaux — des figures se laissent reconnaître furtivement en des enchaînements à la logique mouvante — des bribes thématiques émergent ici et là. Un mécanisme souterrain les engendre, ne s'y arrête pas.
Rien ne lie les neuf traits semble-t-il. Une cohérence pourtant s'édifie. Des calculs travaillent la matière sonore. Globalisants, ils unissent les péripéties.
Ici et là figurent encore des agencements remarquables, là où sédimente le réseau des hauteurs et des durées ; la confluence successive du flot énonce la fin d'une transgression et son horizon au delà.