Talea, en latin, signifie coupure. Dans la musique médiévale, ce terme désigne une structure rythmique répétée sur laquelle se greffe une configuration de hauteurs également répétées, coïncidant ou non à la première et que l'on nomme « color ». Au XXe siècle, on retrouve cette dissociation entre hauteurs et durées.
L'idée de coupe du geste initial, la mise en phase et hors-phase des différentes structures rythmiques ainsi que la forme en deux parties, dont la seconde pourrait aisément s'intituler « color », m'ont suggéré le titre de ce quintette. Dans Talea, j'aborde deux aspects du discours musical dont mes recherches sur la synthèse instrumentale, la microphonie et les transformations adjacentes m'avaient éloigné, à savoir la rapidité et le contraste.
Talea est composé de deux parties enchaînées sans interruption qui énoncent deux aspects ou plus exactement deux angles auditifs d'un seul phénomène. Ainsi, un geste unique (rapide, fortissimo, ascendant lent, pianissimo, descendant) est présenté dans la première partie en durées moyennes et peu à peu érodé jusqu'au nivellement des contrastes. Dans la seconde partie, il gère la grande forme et la succession des séquences. Polyphonique dans la première partie, le geste devient homophonique dans la seconde.
D'un point de vue perceptuel, la première partie m'apparaît comme un processus implacable, véritable machine à fabriquer la liberté qui émergera dans la seconde partie. Le processus de cette dernière est en effet troué d'émergences plus ou moins irrationnelles, sortes de rappels de la première partie, qui peu à peu se colorent du contexte nouveau jusqu'à devenir méconnaissables. Ces fleurs sauvages, ces herbes folles poussées dans les interstices de la machine, croissent en importance puis débordent jusqu'à donner aux sections qu'elles ont parasitées de l'intérieur une coloration tout à fait inattendue.
Gérard Grisey.