L'envie d'écrire Streets est née en mai 2005, alors que je me promenais dans les rues de New York. La densité d'activités humaines simultanées était telle qu'il m'était quasiment impossible d'isoler tel mouvement d'une personne prise au hasard dans cette collectivité, ou tel déplacement d'un véhicule, sans que cette information ne soit perturbée par bien d'autres. La perception de cet univers, composé de strates infinies, se résumait donc à une globalité tendant paradoxalement vers le statisme.
C'est ce phénomène que j'ai tenté de transcrire dans Streets, dont les passages les plus animés et virtuoses sont en fait ceux où l'écoute est la moins évolutive. Dans un univers harmonique extrêmement restreint (toute la pièce est fondée sur un seul accord), le discours alterne donc moments frénétiques et périodes où le calme n'est pas synonyme de statisme. Influencé par ce que l'on qualifie de « synthèse granulaire » dans l'univers du studio électroacoustique, j'ai aussi tenté d'établir des transformations progressives d'éléments identifiables en trames accumulatives. Streets est un véritable défi compositionnel pour moi, dans la mesure où je me suis interdit toute juxtaposition tout en essayant de conserver l'énergie de mon écriture dans un conception plus directionnelle de la forme qu'à l'accoutumée.
Mais le défi concerne d'autres aspects : je me suis restreint à une forme courte (une quinzaine de minutes) alors que j'étais plutôt habitué à des durées importantes dans la période où j'ai écrit l'œuvre (mon opéra, composé juste avant cette pièce, dure 2h30), je me suis consacré à un ensemble de petites dimensions (alors que depuis 2001, je n'ai abordé que les domaines de la musique de chambre ou du grand orchestre), et plus anecdotiquement, j'ai voulu créer dans la forme les conditions d'une fin énergique, ce que je n'avais pas fait depuis plusieurs années. Streets marque donc une remise en cause radicale de mon langage.
Bruno Mantovani.