Avant Solo, les travaux que Daniele Bravi a consacrés au piano exigeaient systématiquement de l’interprète d’agir sur le son du piano directement dans la caisse de résonance, sur les cordes en plus du clavier. « Pour moi, ma musique “raconte” la vie des sons, dit-il, et j’avais donc jusqu’ici recours à des instruments capables de moduler leurs propres sons. » Dans Solo toutefois, plutôt que d’explorer de nouveaux horizons timbriques et autres techniques instrumentales, Bravi tente de revenir aux sources du son pianistique en se mesurant, dans la mesure du possible, au répertoire de l’instrument. « Tout compositeur doit, selon moi, se mesurer à l’instrument en pensant aussi à la littérature antérieure. L’écriture pour piano ou quatuor à cordes, par exemple, représente aussi une opportunité de se comparer aux grands compositeurs du passé. »
Ainsi le titre de la pièce (Solo) doit-il être compris comme « jouer SEULEMENT au clavier ». Mais il fait aussi référence – une référence délibérément paradoxale – au principe générateur de la pièce, puisque celle-ci est organisée autour d’une double dualité. D’abord, elle s’élabore à partir d’un subtil jeu de résonance qui prend une dimension structurelle en constituant la charpente harmonique de la composition, et en générant « comme un second piano, ou une ombre pianistique, en constante relation avec le premier ». Le piano « ombre » s’incarnant dans un son sans attaque par opposition au piano ordinaire qu’il reflète. Ensuite parce que la pièce déploie deux architectures distinctes – habilement dissimulées sous un chemin formel apparemment unique.
Dans la première section (Nascosto, quasi notturno), cristalline et d’une grande économie de moyen, le dialogue imaginaire entre les deux pianos semble presque contrapuntique. Dans la seconde section, plus longue et plus articulée que la précédente (et ponctuée par une pédale de fa dièse qui tient lieu de point focal), le matériau initial est revisité et transformé par une écriture animée et fiévreuse, exigeant de l’interprète une virtuosité transcendantale sur tout le clavier et les trois pédales. Charge à l’auditeur de reconstituer de mémoire les lignes mélodiques cachées dans ce tissu sonore quasi granulaire (terme à comprendre au sens que lui ont donné les outils d’informatique musicale). Une réduction progressive du matériau mène à une coda (Calmo, perdendosi fra le risonanze), constituée de quelques notes qui forment une mélodie lente, sur plusieurs octaves, accompagnée par les ombre-sons des résonances, qui semblent se perdre dans le lointain.
Jérémie Szpirglas (d'après Gianluigi Mattietti), note de programme du concert du 5 octobre 2018 à l'Institut culturel italien de Paris