La position du Requiem, de Ligeti est celle d'une réflexion avant-gardiste sur la situation de la musique à l'époque du chromotisme total, mais il y a aussi, parallèlement à cela, un retour à la poyphonie vocale classique des anciens maîtres, accompagné d'une remarquable minutie artisanale, dans cette œuvre. Cette profession de fois en faveur de la tradition peut surprendre a premier abord : la composition ne repose pas seulement sur un texte qui fait partie, de par son emploi collectif séculaire d'un cercle de culture et d'expériences bien établies, elle est fixée outre cela sur les moyens qui ne diffèrent pas dans l'essence de ceux de l'adaptation musicale historique du Requiem. Les moyens traditionnels ne sont néanmoins pas utilisés comme carapace formelle, ils sont si mûrement réfléchis que l'aspect traditionnel de la situation particulière est completement renouvellé. Dans l'lntroitus, une surface sonore pour ainsi dire immobile, qui s'étend de la première à la dernière mesure sans césure générale, est transformée progressivement. Au niveau de l'association expressive, on voit s'accomplir dans la promesse du Lux Perpetua la métamorphose graduelle d'une atmosphère de désolation. Le son disposé en couches chromatiques glisse progressivement des registres graves aux registres aigus. Le filet polyphonique jusqu'ici statique se trouve animé d'un léger mouvement dans le Kyrie. Le modèle formel traditionnel est ici une sorte de double fugue à cinq voix, mais le bithématisme ne se réfère pas au concept de thème dans son acceptation usuelle, il est transféré au niveau du matériau. Le mouvement s'écoulant calmement subit, dans la deuxième moitié du Kyrie, quelques violentes déchirures lorsque les instruments de l'orchestre terminent brusquement certains sons de soutien en fortissimo. Ces entailles préparent à un aspect de l'organisation formelle du prochain mouvement : celui-ci est le cœur de la composition : un Dies Irae d'une grande agitation dramatique et même théâtrale, articulé, en de nombreuses sections contrastées de sorte que l'empilement de couches différenciées semble être rabattu de la verticale à l'horizontale. La grande forme de ce mouvement est caractérisée par les contrastes exaltants du très doux et du très fort, des registres aigus et graves, de l'expression agressive et douce. Les vers du Lacrimosa appartenant habituellement au Dies Irae (ils ne furent cependant rajoutés qué plus tard aux vers de Tommasa de Celano), ont été séparés, dans l'adaptation musicale de Ligeti, en un mouvement à part entière. L'expression de la composition retourne au caradère du contenu : le chœur disparu, seuls les deux solistes et un orchestre réduit ont survécu à la fin du monde. Le vide complet de Beckett, le néant restant, devient son. On se souvient ici de la sonorite du Lux Perpetua de la fin de la première partie sans qu'elle se laisse pour autant percevoir comme une citation.
Harald Kaufmann.