Le deuxième quatuor de Helmut Lachenmann développe de manière plus aboutie les principes d'écriture en termes de catégories sonores, tout en procédant à des développements formels originaux.
Comme dans Gran Torso, l'utilisation des catégories sonores fonde l'écriture contrapuntique, avec toutefois un trait caractéristique, à savoir la prééminence d'un mode de jeu sur les autres, qui réalise une sorte de cantus firmus. C'est le cas des sons flautando, aériens, qui forment l'ossature de la première partie et sont remplacés dans leur fonction, après une irruption fortissimo en sons ordinaires, par les sons joués avec l'archet sur les chevilles ou la volute de l'instrument. Plus tard, le même rôle incombera aux « sons-fusées », exécutés en poussant l'archet sur la corde de manière accélérée, afin de produire un crescendo qui s'arrête brutalement, selon une inversion presque parfaite d'un pizzicato, que l'on retrouvera symétriquement vers la fin de l'œuvre.
Mais ce qui caractérise plus encore la forme de ce quatuor, c'est la focalisation opérée à plusieurs reprises sur un mode de jeu particulier, qui devient dès lors l'élément unique d'une section entière.
C'est le cas dès le premier tiers de l'œuvre ; après une mesure arco sur le chevalet – produisant un bruit blanc qui fonctionne comme un « seuil musical » et rappelle ainsi le passage central de Gran Torso –, les quatre instruments jouent des trilles, rapidement suivis de balayages flautato en arpèges. Ceux-ci, perçus de prime abord comme une extension des trilles précédents, construisent bientôt leur univers propre, évoquant fortement une musique tonale, lorsque les intervalles utilisés dans les balayages deviennent des tierces, des quartes ou des quintes. La musique semble réaliser ainsi un arrêt sur l'image, pour se développer ensuite au sein de cette sonorité.
Suivant le même principe, dans la quatrième partie, l'exclusivité du jeu en pizzicato conduit chaque interprète à se munir d'un plectre, et à poser son instrument sur le genou, à la manière d'une guitare. Un choral en accords plaqués (« vifs et déchirés ») se développe alors, sous-tendu par un contrepoint de sonorités, toutes issues du pizzicato ; l'indication agogique Quasi Walzer s'inscrit dans ce paradigme de citations plus ou moins directes de formes musicales anciennes qui traverse les œuvres de Helmut Lachenmann.
Ce jeu unique en guitares s'organise autour d'une alternance de sonorités étouffées et de cordes résonnantes. On est loin d'une utilisation théâtrale de l'instrument détourné de sa fonction. Le geste musical n'est que le résultat du développement d'une écriture intégrant, dans ses potentialités, l'extension du registre instrumental. Dans un tel contexte, la perception de l'auditeur se fait « à la loupe », et l'impression résultante est celle d'une mise en abîme du propos musical.
Une dernière focalisation s'opère à la fin du quatuor, quand les instrumentistes jouent des sonorités « perforées » en appuyant exagérément l'archet sur la corde. Là encore, la perception est troublée lorsque l'on découvre qu'au delà d'un son qui semble violent, déchiré (« perforé »), excessif (car trop riche), se dessinent des trajets mélodiques ascendants et descendants, selon que l'archet est déplacé le long de la corde, vers le chevalet ou vers la touche. Et, ici comme auparavant, l'oreille privilégie ce qui bouge, ce qui crée des formes et du sens musical, dans la surprise et le ravissement de la découverte inattendue. La sonorité « perforée », présente depuis le début de l'œuvre comme timbre caractéristique, en opposition aux autres, presque en taches de couleur, est devenue à la fin le fond du tableau.
La symétrie acoustique relevée entre les « sons-fusées » et les pizzicati s'étend ainsi aux sons « perforés » qui, par le caractère extrême de la pression d'archet qu'ils exigent, peuvent être considérés comme l'inverse des sons flautato du début du quatuor.
François Bohy, programme du Festival d'automne à Paris, cycle Helmut Lachenmann.