Par le poids de sa riche histoire et l'immensité de son répertoire, le quatuor à cordes est devenu, au cours des temps, une formation mythique, abordée par les compositeurs avec un mélange d'enthousiasme et de méfiance. Mozart, Haydn, Beethoven, Schumann, Bartok, Shostakovitch, et tant d'autres ont écrit d'innombrables chefs d'œuvre pour cet instrumentarium qui, parce qu'il réunit intimité, homogénéité, et virtuosité, est propice à l'expérimentation. Écrire pour quatuor est aujourd'hui un exercice très délicat, et ce n'est pas sans crainte que j'ai décidé d'aborder le genre en 2000. Un cycle a commencé à naître à cette période, cycle toujours incomplet en 2005.
Bleu (2002) est une courte pièce énergique, jouant sur une disposition spatiale singulière des musiciens (les instrumentistes se faisant face). Du déferlement au jeu d'échos, ce mouvement repose sur une conception « démocratique » de l'ensemble, la matière musicale étant plus fondée sur un flux cohérent que sur la hiérarchie entre un soliste et des accompagnateurs.
Les fées (2004, création mondiale) : il s'agit là d'un véritable scherzo, laissant la part belle à une écriture procédurale. J'ai commencé à m'intéresser depuis peu à cette dimension de l'écriture (avec Le cycle des gris pour orchestre baroque, ou avec Da Roma pour trio), afin de sortir d'une conception du langage fondée systématiquement sur le conflit entre des idées contrastées. La transformation progressive d'un élément en un autre est ici le maître mot, alors que la matière musicale subit ou des procédés d'accumulation, ou de raréfaction.
L'ivresse (2003) : il s'agit d'une musique de ballet, violemment contrastée, aride, virtuose. Le discours s'articule autour de quelques idées facilement repérables à l'écoute (unisson dans l'aigu, homorythmies...). Au milieu de cet océan d'incertitude et d'imprévisibilité, une séquence plus procédurale vient établir une continuité, toujours dans l'énergie, qui donne à la matière un caractère encore plus abrupt.
BWV 1007 (2001) : première pièce du cycle sur le plan chronologique, ce mouvement est un hommage à la Première suite de violoncelle de Jean-Sébastien Bach. Le modèle est ici toujours présent, mais sans cesse déformé, développé, si bien qu'il est pratiquement impossible de le reconnaître. Ici, le quatuor est traité de façon plus orchestrale, non dans la masse sonore, mais dans les hiérarchies, chacun des instruments prenant à tour de rôle la parole de façon soliste. Malgré la présence permanente dans mon esprit des grands modèles de l'histoire, j'ai essayé de conserver une certaine spontanéité dans mon écriture. C'est l'intuition qui a élaboré le discours, non la prédétermination. La matière a pris l'ascendant sur l'artisanat, s'exprimant malgré moi, de façon quasi-autonome.
Bruno Mantovani, novembre 2004.