La poésie d’Alda Merini parcourt le XXe siècle des années 1950 à nos jours ; cette poétesse, figure majeure de la littérature italienne, n’aura eu de cesse de vivre en marge, auprès des exclus de ce monde jusqu’à sa mort en 2009. À l’âge de seize ans, Alda Merini manifeste les premiers signes d’une dépression chronique qui ne la quittera pas. Cette maladie, elle l’appelle « Ombra della mente » (ombre de la pensée) et projettera tout son art dans cet état, lui cherchant une issue par l’écriture.
Cette notion « d’ombre », de contamination de la pensée linéaire et vivante, constitue la métaphore du processus d’écriture musicale qui est mis en oeuvre pour ce projet. L’idée, finalement assez simple, d’un discours qui serait sans cesse entravé par une force obscure empêchant le déroulement normal des choses. L’une des applications de ce concept se situe dans la gestion du passage de la voix chantée à la voix parlée. Le chant constituant cette zone de dépression qui vient figer la continuité d’une narration poétique, comme une entrave au temps. Les textes puisent dans deux ouvrages d’Alda Merini, Après tout même toi et Délire Amoureux. La pièce s’organise entre narration (zones intitulées « Ombres ») et poésie (zones intitulées « Chants »), une alternance que vient dynamiser un dispositif scénographique organisé autour de deux tables, lesquelles deviennent des espaces dédiés à l’écriture, à l’autopsie, aux frottements et à des matières instables.
La musique laisse ainsi place à des zones de bruits, de bruissements et de souffles, comme pour dire une sorte de dichotomie entre l’individu et le monde, qui chercheraient, sans y arriver, une mise en phase…
Pierre Jodlowski.