Le texte d’Ofanim (en hébreu, à la fois « roues » et « modes ») alterne des fragments du Livre d’Ezéchiel et des vers du Cantique des Cantiques. La vision dramatique d’Ezéchiel (chapitre 1) – le plus personnel et le plus apocalyptique de tous les prophètes – s’oppose fortement à la sensualité terrestre des vers du Cantique des Cantiques (chapitres 4 et 5). Les apparitions fantasmagoriques d’Ezéchiel décrivent leur rotation perpétuelle dans un ciel embrasé. Les images poétiques du Cantique s’attardent avec nostalgie sur le visage et le corps de l’être cher. Le fragment final (Ezéchiel, 19) projette brusquement la pièce dans une perspective différente : tout mouvement est arrêté, les lumières sont éteintes. Le verger aux senteurs parfumées fait place à une vigne flétrie, et l’image de la Mère, arrachée à son sol natal et rejetée vers « une terre sèche et brûlée » évoque la mémoire de toutes les mères de notre époque, le souvenir de ces exodes et de ces holocaustes si profondément enracinés dans notre conscience.
La musique d’Ofanim développe différents modes de rotation et de mouvement dans l’espace acoustique. Écrit pour deux chœurs d’enfants, deux groupes instrumentaux et une présence féminine, Ofanim utilise les nouvelles technologies développées par le Centro Tempo Reale de Florence. La pensée musicale doit aujourd’hui être capable d’interagir avec les nouvelles technologies et de s’adapter de façon créative à n’importe quel espace réel, pour en explorer les virtualités, et le remodeler acoustiquement. L’image de la musique comme architecture sonore n’est plus une simple métaphore : elle représente une possibilité concrète et réalisable. Il s’agit bien entendu d’une architecture flexible et mobile, capable de s’adapter à diverses situations et environnements. C’est pourquoi, à chaque nouvelle exécution, la stratégie acoustique d’Ofanim (c’est-à-dire le software qui détermine son profil acoustique) devra être modifiée et divers aspects de l’œuvre recomposés.
Ofanim est dédié à la mémoire de Rivi Pecker.
Luciano Berio.