L’Esprit des dunes est la seconde pièce que j’ai écrite sur commande de l’Ircam. Depuis la première pièce, Désintégrations, les techniques informatiques avaient beaucoup évolué. Comme pour Désintégrations, les structures sonores et musicales de la pièce dérivent en grande partie de l’analyse de sons acoustiques. Mais, alors que j’avais dû me contenter d’analyses statiques représentant un seul instant du son pour Désintégrations, j’étais maintenant en mesure de suivre l’évolution d’un son, avec toute sa vie, ses micro-modulations, grâce à la technique dite du « suivi de partiels ». Les données d’analyse furent souvent retraitées, avec un programme d’assistance à la composition (Patchwork), la re-synthèse étant effectuée avec une banque d’oscillateurs qui suivaient le moindre mouvement des partiels analysés, après modifications éventuelles. Cette technique permettait d’engendrer des sons électroniques d’un type nouveau, dont les sonorités inusuelles possédaient la vie propre aux sons acoustiques. Elle permettait aussi de véritablement intervenir au plus profond des sons, de les « composer » comme l’on compose une harmonie ou une mélodie. L’acte de composition intervenait donc au cœur même du sonore. Deux groupes d’objets sonores ont servi de point de départ à la pièce : brefs extraits provenant de musiques mongoles et tibétaines (chant diphonique mongol, trompes et psalmodies tibétaines) ; sons granuleux (frottements de polystyrène, maracas, bâton de pluie, etc.). Ce deuxième groupe est utilisé uniquement pour la technique de « synthèse croisée » : les sons granuleux sont par exemple filtrés par les mouvements d’harmoniques du chant diphonique. Métaphoriquement, c’est le « chant du désert », l’esprit des dunes. Grâce aux techniques de microchirurgie du son, de distorsion des fréquences, de modification des formants, etc., ces objets sonores d’origine apparemment disparates finissent par s’interpénétrer, par fusionner, créant la continuité sous-jacente qui unifie la surface contrastée et versatile de la musique. L’Esprit des dunes présente un aspect fortement mélodique – dans la synthèse, comme dans les parties instrumentales. Les contours mélodiques dérivent souvent des extraits sonores analysés – les contours seulement, non les hauteurs effectives. La mélodie est toujours en rapport étroit avec les harmonies et les spectres ; comme dans le chant diphonique mongol, la mélodie est entendue ici comme une modulation du timbre.
Tristan Murail, concert du 11 juin 2010, Cité de la musique, festival Agora.