Lors de ses expériences avec des bandes magnétiques, Steve Reich découvre le procédé du phasing (« déphasage ») un peu par hasard : les deux magnétophones, qui ne tournent pas à la même vitesse, se décalent progressivement. Le résultat ouvre un captivant champ de possibilités : « En écoutant ce processus progressif de déphasage, j’ai réalisé que c’était une forme de structure musicale absolument extraordinaire. Ce processus s’est imposé à moi comme un moyen d’explorer différents rapports entre deux identités sans avoir à réaliser aucune transition. C’était un processus continu, sans interruption. »
Sensible dès ses débuts à la qualité mélodique de la voix parlée, Reich enregistre Brother Walter dans le parc d’Union Square de San Francisco, à la fin de l’année 1964. It’s Gonna Rain doit son titre à une phrase prononcée par ce prédicateur afro-américain, séquencée et mise en boucle sur deux magnétophones tournant à des vitesses légèrement différentes. Reich a également capté le battement d’aile d’un pigeon, passé fortuitement devant le micro. Mis en boucle et répété à intervalles très rapprochés, il devient un son percussif.
La seconde moitié de la pièce utilise la phrase « but it was sealed by the hand of God » (« Mais [la porte de l’Arche] était scellée par la main de Dieu »). Avec le déphasage, elle se transforme en un bruit agressif. « On a le sentiment d’être pris dans un cataclysme, de voir toute chose se dissoudre autour de soi », remarque le compositeur, qui interprète le prêche sur le thème du Déluge de Brother Walter comme un écho à la récente crise des missiles de Cuba et à l’inquiétude que font peser les menaces nucléaires.
Hélène Cao, note de programme du concert du festival Présences de Radio France du 9 février 2024 au Studio 104 de Radio France.